Le chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, s’adressera jeudi 25 juin 2020 à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour faire le bilan de ses 100 premiers à La Kasbah. A la différence de ses prédécesseurs, M. Fakhfakh va se présenter à cet «examen» dans des conditions loin d’être idéales puisque sa crédibilité a été très largement entamée -pour certains définitivement- sur un dossier dont il fait son principal cheval de bataille : la lutte contre la corruption.
Il y a fort à parier que le 25 juin 2020 la tempête provoquée par la révélation de la détention par le chef du gouvernement d’une participation dans une société spécialisée opérant dans l’environnement et pour le compte de l’Etat qui a déclenché des accusations de conflit d’intérêt ne se sera pas calmée.
Car plutôt que de clore l’affaire, la déclaration faite le 19 juin 2020 par le ministre des Droits de l’Homme, des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile, a au contraire maintenu le chef du gouvernement dans l’œil du cyclone en déclenchant d’autres questionnements.
Ayachi Hammami avait en effet déclaré qu’«aujourd’hui Fakhfakh est un homme politique et pour lui l’avenir de la Tunisie et le travail qui l’attend sont plus importants que les parts. Il a donc décidé de les abandonner et de prendre les mesures nécessaires à cet égard».
Depuis, plusieurs voix se sont élevées pour demander des explications sur les modalités de la cession des parts détenues par le chef du gouvernement. Ne s’agit-il-pas d’une simple opération de portage ?, etc.- et même exprimer des doutes sur la régularité du marché dont a bénéficié la société dans laquelle il détient des parts.
Bref, Elyès Fakhfakh va se présenter au débat d’évaluation de l’action de son gouvernement durant ses cent premiers jours avec une image et une crédibilité assez entamées. D’autant plus que cet incident n’est pas le premier du genre dans la courte vie de ce gouvernement. C’est même en fait le troisième, avec l’affaire des “30 millions de masques“ que le ministre de l’Industrie, Salah Ben Youssef a voulu commander à l’homme d’affaires et député d’Al Badil (Jalel Zayati), en violant les procédures de passation des marchés publics et la Loi n° 2018-46 du 1er août 2018, portant déclaration des biens et des intérêts, de la lutte contre l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêt dans le secteur public qui interdit à un député de passer des marchés avec l’Etat. Il y eut aussi l’affaire de la deuxième voiture de fonction du ministre des Transports et de la Logistique conduite et embouteillée par sa fille.
Autant que ces deux affaires elles-mêmes, c’est la réaction du chef du gouvernement qui a entamé la crédibilité du gouvernement et de son chef, notamment par rapport à son engagement réitéré à lutter contre la corruption.
Concernant la première affaire, à propos de laquelle l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) estimant disposer de sérieux éléments appuyant les soupçons de corruption, a saisi le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Tunis, Elyès Fakhfakh l’a qualifiée d’«histoire bidon», et de «pêcheurs en eaux troubles» ceux qui affirmaient le contraire. Avant que le premier concerné lui-même, c’est-à-dire le ministre du Transport, reconnaisse avoir mal agi et demandé publiquement pardon aux Tunisiens.
A propos de la seconde affaire, le chef du gouvernement s’est limité à publier une note précisant les droits et obligations des membres du gouvernement en matière de logement et de voiture de fonction.
Le locataire de La Kasbah risque fort d’être de nouveau interpellé, cette fois-ci par les députés, à propos des trois affaires. L’un d’entre eux, Yadh Elloumi (Qalb Tounes), président de la Commission des finances, en a donné un avant-goût lundi 22 juin 2020 en demandant à Mohamed Abbou, ministre d’Etat auprès du chef du gouvernement chargé de la Fonction publique, de la gouvernance et de la Lutte contre la corruption, d’enquêter pour s’assurer que le marché attribué à l’entreprise dans laquelle M. Fakhfakh détient une participation, n’est pas entaché d’irrégularité. Et c’est probablement parce qu’il va au-devant d’un moment très difficile lors du débat avec le député que le chef du gouvernement a rencontré le même jour (lundi 22 juin) les députés d’Ennahdha, le groupe parlementaire le plus important à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Moncef Mahroug