Une citation de François Mitterrand que nous rappelle une experte en communication, Amel Adouani : « L’homme politique s’exprime d’abord par ses actes ; c’est d’eux dont il est comptable ; discours et écrits ne sont que des pièces d’appui au service de son œuvre d’action ».
C’est à cela que renvoient les interventions «respectables» de nombre de députés lors de la «comparution» du gouvernement Fakhfakh devant l’ARP pour rendre compte des réalisations de leurs 100 premiers jours en exercice. Les appels des députés étaient pour plus de concret, plus de réalisations et moins de discours ou de fausses promesses.
Un exercice de 100 jours biaisé, il faut le reconnaître, par l’avènement de la pandémie de la Covid-19, ne permet pas de s’étaler sur les réalisations gouvernementales mais de faire le diagnostic d’un triste héritage. C’est ce qui explique peut-être que le CDG ait brossé, à l’ouverture de la journée ARP, un tableau noir de la situation économique du pays et a clôturé à 4 heures du matin par un message d’espoir.
Elyès Fakhfakh a assuré être capable avec son équipe de sauver le pays et son économie si la logique de la solidarité nationale et surtout celle entre acteurs politiques et partenaires sociaux prend le dessus sur les calculs politiciens et les campagnes électorales précoces.
Pour lui, la priorité est au plan de sauvegarde socioéconomique d’un pays au bord du gouffre. «Pouvons-nous parler élections dans pareille situation?»
Mais d’abord les chiffres. Il s’agit bien de 130 000 nouveaux chômeurs, d’un taux de croissance négatif de 6%, d’un taux d’endettement extérieur de 60% qui a dépassé les limites du supportable, et de 6 milliards de dinars de nouvelles pertes additionnées aux précédentes.
Toutes les entreprises publiques, jadis florissantes, sont aujourd’hui déficitaires et financées par l’Etat et les projets en cours bloqués.
Pour y remédier, un plan de sauvegarde a été mis en place par plus de 400 technocrates dont les deux tiers sont les hauts cadres de l’Etat auxquels ont été associés les experts des think tank, des partenaires sociaux et les spécialistes en économie.
La numérisation citée comme objectif dans le plan de sauvegarde pourrait peut-être aider pour une meilleure gouvernance. «Il faut oser les réformes structurelles que nous n’avons pas réalisées par peur de fragiliser le service public et de ne pas trouver les ressources pour les finances de l’Etat. Nous devons nous unir pour réussir».
Le CDG a soulevé une question importante, en l’occurrence la nécessité d’une meilleure gouvernance du patrimoine de l’Etat : «l’Etat gère mal ce qui lui appartient et ce dans tous les secteurs et tous les domaines».
S’agissant des régions, Fakhfakh a assuré que son gouvernement est en train de s’attaquer aux problèmes de fond mais dans la discrétion. «Nous comprenons l’impatience des jeunes mais la tâche n’est pas aisée, et ce qui s’est passé à El Kamour (gouvernorat de Tataouine) entre les forces de sécurité et les manifestants n’était pas dû aux mouvements de protestations mais à cause des attaques contre les biens de l’Etat et leur destruction et dans le cas d’espèce, c’est l’Etat qui se défend… Nous sommes décidés à résoudre les problèmes du travail précaire et de l’emploi. Nous ne ferons pas du surplace, nous nous attaquerons aux réformes structurelles, mais il faut être patients».
Le CDG rappelle que la loi des finances complémentaire n’a pas été finalisée à cause des incertitudes relatives au taux de croissance. «En un mois, nous sommes passés de -4, -5,3 et à -6,8%. En fait, tout est lié à la reprise de la croissance à l’international… Par ailleurs, nous ferons tout pour que le taux d’endettement ne dépasse pas les 60% du PIB pour ne pas voir notre souveraineté menacée, nous comprimerons les coûts et les dépenses publiques et recourrons à l’endettement intérieur, pour consolider le budget de l’Etat».
La levée des fonds à l’international pour affronter la pandémie Covid-19, précise le CDG, est de l’ordre de 2,560 milliards de dinars. Ce qui était programmé pour boucler le budget de l’Etat est 8,500 milliards de dinars d’endettement extérieur. Aujourd’hui plus de 2,500 milliards de dinars sont entrés dans les caisses de l’Etat ; reste les 5 milliards de dinars à pourvoir.
Elyès Fakhfakh a parlé du rôle du secteur agricole, un secteur stratégique, dans la réalisation de la sécurité alimentaire du pays et des politiques qui doivent être adoptées pour la préservation des ressources hydrauliques lesquelles sont menacées à cause des défauts de captages, des infrastructures vétustes de la SONEDE et de l’absence de maintenance.
La réconciliation pour assainir le climat des affaires
Le chef du gouvernement n’est pas revenu sur la réconciliation citée par des députés en tant qu’élément indispensable pour assurer la relance économique qu’il ambitionne. Une réconciliation que rendent impossibles les campagnes aveugles de lutte contre la corruption.
C’est sur ce point qu’est intervenu Zouhaier Makhlouf, lequel a appelé Mohamed Abbou, ministre de la Fonction publique, de la Réforme administrative et de la Lutte contre la corruption, à éviter la logique inquisitoire « révolutionniste ». Il a invité le gouvernement à promulguer une loi de réconciliation nationale globale pour que les hommes d’affaires ne soient pas les otages de l’extorsion, de la peur et du chantage des décideurs politiques.
«J’appelle à assainir le climat économique pour encourager l’investissement et relancer le développement. Je parle du dossier des biens confisqués que j’aimerais gérés et traités sans haine et sans discrimination. 550 biens immobiliers et 700 entreprises ont été confisqués depuis 2011 et ont été dévastés, la plupart ont fait faillite à cause de la mauvaise gestion, du népotisme, du favoritisme et des émoluments importants situés entre 7 mille et 21 mille dinars des gestionnaires mandatés. Les responsables de tous les gouvernements ont profité de ce patrimoine et n’ont pas mis fin à cette hémorragie pour que leurs poches restent pleines ! Il faut en finir avec ce drame national en prenant des mesures coercitives à l’encontre de tous ceux qui profitent de cette situation. La relance de l’économie ne peut se faire par des décisions passionnelles ou révolutionnaire, il faut raison garder d’autant plus que les bailleurs de fonds internationaux, dont la banque mondiale, appellent à une réconciliation nationale pour que nous puissions aller de l’avant. Un expert des Nations unies a cité le chiffre de 81 milliards de dinars de biens spoliés. Pourquoi ne pas décréter une loi de réconciliation et les récupérer » ?
La lutte contre corruption : l’outil électoral pour les partis sans programme
Hichem Ben Ahmed, député Tahia Tounes, est sur la même longueur d’ondes que Zouhaier Makhlouf. Il plaide pour l’assainissement aussi bien du climat économique que celui social et politique. «Pourquoi ne pas s’engager dans une trêve politique et sociale d’au moins 6 mois entre tous les partis et les organisations nationales et se consacrer à la résolution des problèmes socioéconomiques. Nous devons rendre la confiance des investisseurs dans notre pays… Pour ce, une réconciliation nationale globale est nécessaire ».
Il faut reconnaître que depuis 10 ans, des campagnes aveugles ont été orchestrées contre les créateurs de richesses nationaux et qui auraient même, selon des observateurs de la scène publique, orienté les décisions de justice. Quoi de pire ?
Ces campagnes que l’UTICA n’a pas cessé de dénoncer ont nui terriblement à l’investissement car au lieu de faire comparaître les fautifs devant la justice sans les utiliser comme un outil électoral, on a suscité une peur paralysante pour les investisseurs potentiels qui évitent de créer de nouveaux projets de peur de se voir accusés de tous les maux. A tel point que l’UTICA a publié tout récemment un communiqué qui dénonce ces pratiques malfaisantes pour l’économie nationale.
«La Tunisie connaît une détérioration du climat général d’investissement, y lit-on, une nouvelle vague de diabolisation des investisseurs et entrepreneurs via des accusations gratuites à leur encontre, faisant douter de leur intégrité et de leur rôle dans le développement économique. Ce climat délétère est en train d’approfondir la crise de confiance dont souffre notre pays, peut entraver le processus de développement de la Tunisie et être le prélude à une crise économique sans précédent ».
L’UTICA a appelé à ce propos à améliorer le climat des affaires pour encourager les investisseurs à réinvestir leur argent et agrandir leurs projets au lieu de les surcharger de nouvelles taxes, d’où une pression fiscale très lourde : «C’est la pression fiscale la plus élevée par rapport aux pays concurrents».
Mais… Lorsqu’un chef de gouvernement d’un pays en faillite est entouré de nombre de conseillers et ministres chevaliers de l’apocalypse, ignares de la chose économique, inconscients de l’impact de leurs discours haineux sur les acteurs économiques, et dont le seul but est de se venger et de punir les anciens d’un régime mort il y a dix ans, les entreprises florissantes, les riches héritiers et de la libre initiative, pouvons-nous nous attendre à un changement de cap ?
Wait and see.
Amel Belhadj Ali