Notre pays vit une crise gravissime à tous les niveaux : politique, sécuritaire, économique et social.
La Tunisie, qui aspirait tant à une stabilité politique après 9 gouvernements successifs en l’espace de 9 ans, doit encore attendre : le gouvernement Fakhfakh n’aura duré que 4 mois. Compte tenu de la fragmentation de l’Assemblée et des graves perturbations qui la caractérisent, la mise en place d’un nouveau gouvernement ne sera pas aisée.
Le gouvernement n’est plus qu’un gouvernement chargé de la gestion des affaires courantes. Il est discrédité parce que les accusations de conflit d’intérêts et de corruption portées contre son chef sont graves. Elles retentissent sur l’état de confiance des citoyens en leurs gouvernants. Pour refonder cette confiance, il faudra beaucoup de temps et beaucoup de probité de la part de nos responsables politiques.
Quant à l’Assemblée, elle est l’objet d’un immense discrédit. Elle semble en état d’arrêt. Elle est désormais administrée par une dizaine de conseillers du président du Parlement, tous membres de son parti (Ennahdha), eux-mêmes chapeautés par un proche, auquel il a conféré un rang de ministre. C’est celui-ci qui octroie ou refuse le droit de visite, y compris de s’opposer à la sécurité présidentielle, et de laisser pénétrer dans les locaux de l’Assemblée des personnes suspectées de terrorisme.
L’administration de l’Assemblée n’est plus une administration au service des députés ; elle est devenue une administration au service d’un parti, instrumentalisée contre ses adversaires politiques, les soumettant au danger terroriste dans l’enceinte même du Parlement et méprisant les règles de séparation des pouvoirs, le respect de la sécurité présidentielle.
La justice, pour sa part, est perçue comme une instance partisane. Rapide, efficace lorsqu’il s’agit de poursuivre et d’arrêter les adversaires ; lente, inefficace, inexistante lorsqu’il s’agit de leur rendre justice.
La démocratie tunisienne apparaît de plus en plus comme une démocratie de façade.
La Libye, une menace pour la Tunisie…
Au même moment, notre sécurité est confrontée à des dangers sans précédent. En Libye, la guerre fait rage. Des milliers de mercenaires étrangers armés et payés par des puissances étrangères s’y installent ; des centres d’entraînement sophistiqués, dotés d’équipements militaires de grande capacité destructrice s’y implantent.
Selon le dernier rapport du Pentagone, au cours du seul premier trimestre de l’année 2020, la Turquie a transporté près de 3 800 jihadistes en Libye.
Au cours des quatre derniers mois, plusieurs autres milliers ont suivi. Parmi eux, le nombre de mercenaires tunisiens s’élèverait à 2 000 – 2 500. Ils sont à quelques dizaines de kilomètres de nos frontières. En Tunisie, les forces alliées au régime turc et soutenant son occupation de la Libye sœur le font à visage découvert.
… et le Maghreb
La Libye et, avec elle, la Tunisie et l’ensemble du Maghreb sont ainsi menacés d’un processus de “syrianisation”. Face à ce spectre, bien heureusement, le président de la République fait montre d’autorité et d’un haut degré de patriotisme. Et l’Algérie sœur d’une solidarité active avec notre pays et comme nous, d’un soutien sans faille, à la souveraineté de la Libye. Un front maghrébin, incluant le Maroc, est en voie de constitution. Nous l’appelons de tous nos vœux.
Une récession de près de 10%
Sur le front économique et social, nous sommes confrontés à une crise d’une gravité sans précédent. Après une dizaine d’années de croissance pratiquement nulle, de sur-endettement et de perte de notre rang dans le monde, nous voici confrontés en cette année 2020 aux terribles conséquences de la Covid-19 : une récession qui devrait être comprise entre 6 et 10%, une entrée en crise financière aiguë de la grande majorité des entreprises, une réduction au chômage de centaines de milliers travailleurs.
Pour le tourisme, le transport aérien et l’artisanat, l’année 2020 est une année perdue. Les faillites en cours sont nombreuses ; la crise sociale qui pointe à l’horizon sera très dure.
Notre démocratie en danger
Si nous ne parvenons pas à opérer un redressement, nos acquis démocratiques seront balayés : ainsi meurent les jeunes démocraties qui ne parviennent pas à réaliser leurs promesses.
D’ores et déjà, un immense sentiment de fatigue et d’usure s’installe. Une vague générale de désespoir gagne les familles de toutes les classes sociales : leur rêve est de faire émigrer leurs enfants. A leurs yeux, la Tunisie n’est plus un pays d’avenir. Il en est ainsi des parents de jeunes sans emploi ; il en est de même des parents des diplômés les plus brillants dans les disciplines les plus nobles et les plus pointues.
Un mépris général, une haine même de la classe politique se répand. Des mouvements de défiance destructeurs, impunis, affichant un mépris vis-à-vis des institutions de l’Etat gagnent du terrain ; le modèle politique qui est en train de gagner les esprits, sur le mode nostalgique même, est le modèle autoritaire déchu parce qu’il est considéré comme générateur, tout à la fois, d’ordre et de progrès économique et social.
La démocratie tunisienne est ainsi rongée jour après jour. Elle ne pourra longtemps perdurer sous ces différents coups de boutoir.
Aujourd’hui, devant nous des jours cruciaux
Soit notre classe politique poursuit le même chemin avec tous les risques et les dangers pour elle et pour notre pays ; soit elle saisit la gravité du moment et change de cap pour ouvrir la voie à la reconstruction de notre pays et pour offrir une lueur d’espoir à notre jeunesse et à notre peuple.
Nous proposons la rupture et le redressement
Nous proposons de désigner un chef de gouvernement en charge de la formation d’un gouvernement (qu’on pourrait appeler «de Salut public», «de compétences nationales»,…), composé de grandes personnalités nationales, dotées d’un très haut niveau de compétence, patriotes, à l’éthique irréprochable, immédiatement opérationnelles, capables de redresser l’économie du pays.
Le rôle fondamental dévolu à ce gouvernement devrait être une tâche de redressement et de développement, de refondation de la Tunisie, sous le contrôle périodique de l’Assemblée et avec la participation active de toutes les parties prenantes.
L’œuvre de redressement et de développement est organisée, structurée, codifiée ; elle est passible d’une évaluation et d’un contrôle parce que tous les acteurs sont dotés d’une feuille de route qui s’inscrit dans une vision de long terme et dans le cadre d’un plan ; une feuille de route qui fixe leurs droits ainsi que leurs obligations réciproques.
Au lieu de n’avoir comme horizon politique que celui d’une actualité toute occupée par les disputes et les déchirements, l’opinion serait partie prenante à l’édification d’une société en développement, dévolue à l’effort, à la création et à la réalisation dans tous les domaines. En un mot, à la promotion économique, sociale et culturelle pour tous.
Les jours qui viennent seront déterminants. Entre les mains de l’Assemblée se jouent son propre destin et celui de la démocratie tunisienne ; elle ne peut échapper à trois exigences incontournables :
– son administration doit redevenir une administration neutre, professionnelle, au service de tous les députés, respectueuse de la séparation des pouvoirs et de l’autorité de la sécurité présidentielle pour sa protection en tant qu’institution et pour la protection de ses députés ;
– elle doit clarifier sa position et unir ses rangs sur un point essentiel : la souveraineté de notre pays, son opposition à toutes les forces d’occupation de la Libye sœur et aux milices étrangères, en particulier les jihadistes tunisiens qui s’y déploient ;
– la désignation d’un chef de gouvernement indépendant des partis politiques, responsable de la présentation d’une équipe de hautes personnalités compétentes, pour conduire le redressement économique et social de notre pays dans le cadre d’une vision prospective et d’un plan avec la participation de toutes les parties prenantes.
Patriotes tunisiennes, patriotes tunisiens de toutes les régions et de toute condition sociale, unissons-nous !