Elyès Fakhfakh, s’exprimant ce matin sur Express FM, a dénoncé l’alliance entre le mouvement Ennahdha, soucieux de préserver ses intérêts aux dépens de ceux du pays et tous ceux qui sont restés en dehors de la sphère du pouvoir et qui profitaient du système dévoyé et corruptible. Il a pointé du doigt l’hégémonie de ce parti qui veut être au centre de tous les pouvoirs.
« J’ai pourtant essayé de convaincre ce parti de changer de posture. La révolution tunisienne a eu lieu pour lutter contre le népotisme, le clientélisme et la mainmise d’un parti sur les arcanes du pouvoir. Je leur ai dit “faites gaffe, il est temps d’entamer des réformes pour sauver le pays, retenez les leçons du passé“. Je les ai appelés à me soutenir dans la lutte contre la corruption, l’économie informelle et pour aussi l’assainissement de nos administrations publiques où sont nommés des responsables pour leurs allégeances et non pour leurs compétences. Mais ils n’ont pas voulu me suivre dans cette voie ».
Le chef du gouvernement en place a rappelé qu’Ennahdha n’a jamais approuvé sa nomination à la tête du Premier ministère, elle qui a préféré s’allier à des réseaux d’intérêt qui profitaient du système et voulaient le pouvoir, dont Qalb Tounes, les acteurs de l’économie parallèle et des opérateurs économiques pour lesquels, le plus important est de garder leur mainmise sur les centres décisionnels.
Fakhfakh a précisé qu’il a résisté malgré toutes les tentatives de ses partenaires, notamment, Ennahdha, afin qu’il cède à leur pression en ouvrant une brèche dans la formation gouvernementale et en y intégrant le parti Qalb Tounes. « Si j’avais cédé, rien n’aurait pu arriver et mon gouvernement n’aurait jamais été inquiété ».
Notre bataille est celle des réformateurs contre les conservateurs
Elyès Fakhfakh a rappelé que le choix de la démission était personnel et qu’il a préféré se retirer pour éviter à un pays, en souffrance, une crise politique qui pourrait l’enfoncer un peu plus dans le désarroi alors que la crise économique a atteint son paroxysme.
« Nombreux sont parmi les élites tunisiennes qui sont indifférentes à ce qu’ils estiment être une bataille personnelle entre les composantes politiques actuelles et moi. Ils se trompent, cette bataille n’est pas personnelle, elle est celle des réformateurs contre les conservateurs. Des conservateurs qui veulent conserver le mode de gouvernance actuel, qui veulent continuer dans le renforcement de l’économie de rente, qui veulent protéger leurs intérêts et font tout pour y arriver. Quant au conflit d’intérêt dont on m’accuse, c’est à la justice et à la seule justice de trancher et j’ai confiance en elle ».
Aujourd’hui, prévient le CDG démissionnaire, la Tunisie traverse une phase très difficile, avec -6% de taux de croissance, soit un manque de à gagner de 5 milliards de dinars, outre les 11 milliards de dinars prévus pour compléter le budget de l’Etat. Jamais les finances publiques n’ont autant souffert.
« C’est effrayant alors que nous travaillions sur un plan de sauvetage de l’économie nationale, alors que nous étions en pleines négociations avec les bailleurs de fonds internationaux et que nous voulions apporter des solutions viables dans un contexte socioéconomique intolérable. La situation sociale est inquiétante aussi au vu des nombreuses revendications venant de plusieurs classes socioprofessionnelles. Une pauvreté inimaginable et aujourd’hui nous parlons de plus de 1,2 de familles pour lesquelles 200 dinars comptent. Les entreprises publiques sont presque toutes en difficulté, et donc, il y a un risque de coupure d’eau, d’électricité et des commodités d’usage pour nos concitoyens. Tout le tissu économique est aujourd’hui détérioré sans oublier les troubles que vivent les régions de Gafsa, Tataouine, Kasserine et Sidi Bouzid».
Les frontières tuniso-libyennes présentent également des menaces pour la sécurité nationale, assure Fakhfakh, «avec les mercenaires qui y sévissent».
Depuis 2011, on n’a jamais vu un chef de gouvernement attaquer frontalement Ennahdha et dénoncer ses desseins malveillants pour le pays. Elyès Fakhfakh, sur le départ, a choisi de dire ses quatre vérités au parti islamiste.
Mais, il n’est pas le seul, sans nommer le parti Ennahdha, le président de la République dénonce lui aussi les tentatives de déstabilisation du pays venant de l’extérieur -les pays qui veulent que la démocratie tunisienne échoue- et de l’intérieur, les partis et les mafias qui ne veulent pas lâcher le pouvoir pour préserver leurs intérêts.
Si aussi bien Kaïs Saïed qu’Elyès Fakhfakh sont au courant de ce qui se trame contre notre pays, pourquoi ne prennent-ils pas les mesures qui s’imposent pour le protéger, pourquoi se limitent-ils à dénoncer seulement ? Et qui a intérêt à maintenir la Tunisie dans un climat d’insécurité et d’instabilité socioéconomique ? Est-ce du laxisme ? Est-ce la peur de voir le pays plongé dans le bain de sang dont nombre d’activistes islamistes le menacent ? Et si c’est vrai, est-ce ainsi que les islamistes conçoivent la démocratie qui les a amenés au pouvoir : “nous y sommes, nous y restons même si la Tunisie devait disparaître“ ? Le pouvoir doit-il être un butin qui ne peut profiter qu’à Ennahdha ?
Grands temps pour les sages du parti de remettre les pendules à l’heure pour que les illuminés et les extrémistes retrouvent leurs esprits, car, in fine, les grands perdants seront ceux auxquels ont profité une Constitution désastreuse et une loi électorale catastrophique et qui ont bénéficié de tous les privilèges à ce jour.
Amel Belhadj Ali