Bientôt -dans moins de six mois- dix ans se seront écoulés depuis la chute du régime Ben Ali, le 14 janvier 2011. Après les résultats décevants de la période de la Troïka et des gouvernements successifs, les Tunisiens ont nourri l’espoir que la nouvelle législative, entamée au lendemain des élections de novembre-décembre 2019, allait permettre, enfin, de (re)mettre le pays sur les rails après qu’il a dérapé au cours des années écoulées.

S’ils ne les ont pas douchés, les quatre derniers mois les ont certainement fait douter et incité à se demander s’ils ne vont pas devoir prendre leur mal en patience pendant encore cinq ans. Et il y a de quoi nourrir les interrogations les plus inquiétantes sur l’avenir du pays.

Le gouvernement formé par Elyès Fakhfakh au lendemain des dernières élections –mais après la tentative de Habib Jemli proposé par Ennahdha- aurait dû être en train de mettre la dernière touche aux réformes et programmes destinés à régler les différents et nombreux problèmes du pays et à relancer son économie. Le successeur de Youssef Chahed à La Kasbah ayant dû démissionner pour cause de soupçons de corruption, la Tunisie se retrouve à la case départ avec l’obligation de se trouver un nouveau chef de gouvernement.

Savoir patienter…

Un nouveau gouvernement va bien finir par voir le jour, dans quelques jours ou, au pire, dans quelques mois, éventuellement après la tenue d’élections législatives anticipées. Mais ce n’est pas pour autant que la Tunisie va pouvoir résoudre ses problèmes au cours des prochains mois. Car la formation d’un nouveau gouvernement n’est pas le plus gros de ses soucis.

En fait, le pays de la «révolution du Jasmin» ne s’est peut-être jamais aussi mal porté. En effet, il se trouve pour la première fois véritablement paralysé et déboussolé, en raison des problèmes rencontrés et posés par ses deux autres présidences, celle de la République et celle de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) exercées respectivement par Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi.

Un costume trop grand pour lui !

Arrivé au Palais de Carthage le 23 octobre 2019, auréolé de sa très large victoire à l’élection présidentielle, Kaïs Saïed a depuis multiplié les erreurs en tous genres et démontré sans l’ombre d’un doute qu’il n’avait pas les qualités et les compétences pour l’exercice de la magistrature suprême.

Les fautes de Ghannouchi…

Pour sa part, Rached Ghannouchi s’est avéré être lui aussi rapidement une source de problèmes et de tension permanente. Il a provoqué un premier tollé lorsqu’il a choisi de se donner pour chef de cabinet l’ex-rapporteur de la Constitution de 2014 au sein de l’Assemblée nationale constituante et ancien député nahdhaoui, Habib Khedher, qui n’est pas très apprécié sous la grande coupole et, circonstance aggravante, en décidant de lui accorder le rang et avantages de ministre, alors que son prédécesseur n’avait que ceux de secrétaire d’Etat.

Mais le président de l’ARP a véritablement mis le feu aux poudres par son ingérence dans un champ relevant, selon la Constitution, des prérogatives du président de la République : la diplomatie. De surcroît, non pas pour servir les intérêts de la Tunisie mais ceux de son parti, le mouvement Ennahdha, en prenant, dans le dossier libyen, une position -avec notamment les félicitations qu’il a adressées à Fayez Al Sarraj, après la victoire dans la bataille de Tripoli, très éloignée de celle de la diplomatie tunisienne.

Une République des masses ?

L’éventuelle éviction du président du parti islamiste de son fauteuil de président de l’ARP, si jamais la motion de censure qui a été déposée contre lui recueillait la majorité requise de 109 voix, ne voudrait pas pour autant dire que la Tunisie va pouvoir, enfin, se concentrer sur le règlement de ses nombreux problèmes politiques, sécuritaires, financiers, sociaux, etc. Car va demeurer sur le devant de la scène un chef d’Etat énigmatique et porteur d’un projet politique -instauration d’un régime présidentiel s’inspirant de la Jamahirya de Moammar Kaddafi- dont la mise en œuvre risque fort d’aggraver les maux de la Tunisie.

M.M.