Transparence et réactivité sur la voie de l’accomplissement du Plan de relance. Le tout dans un cadre macroéconomique rénové. Désormais la gestion des finances publiques fera une grande place à l’usage pointu du stimulus fiscal. Reconstituer la trésorerie des entreprises et doper la reprise sont les deux priorités dudit Plan.

Cette nouvelle gouvernance s’accompagne d’une digitalisation avancée des prestations/déclarations fiscales. Cela préfigure le e-Gov et le Open-Gov. La crise peut avoir du bon, on sent que le vent de la réforme fiscale a levé.

Ali Abdessalam

Mercredi 29 courant, le ministre des Finances, Nizar Yaïche, donnait une conférence de presse un peu particulière, en tout cas pas comme les autres. Le voilà qui s’engage pour un programme de communication permanent. Et dans le même temps, il s’oblige à faire le point sur la mise en application du plan de sauvetage de l’économie et de la mutation digitale qui l’accompagne. Il entend sceller un rapport de transparence avec l’opinion publique par médias interposés, la communauté des contribuables et les opérateurs économiques.

C’est un pari sur l’intelligence du monde des affaires, car on décèle un gage sur le retour de confiance, ingrédient actuellement absent de la scène et si nécessaire pour garantir l’élan de détente de l’économie. C’est un signal fort car quand bien même le gouvernement est en mode de “gestion des affaires courantes“, l’administration ne démissionne pas de ses responsabilités. Elle reste mobilisée, le nez sur l’événement et l’arme au poing afin de faire repartir la machine.

Nizar Yaïche tient la barre

Le ministre des Finances agit en conformité avec le souffle et l’esprit de l’Etat de l’indépendance résumés par cette adresse magique du président Bourguiba lequel soutenait, dans un message qu’il savait à profondeur historique, « Je léguerai aux générations futures un édifice solide ». Dont acte.

Il y a un air de solennité qui a plané sur la présente conférence de presse, conduite avec beaucoup de doigté. On a vu davantage un “ministre-coach“ qu’un simple ministre, maître de cérémonie, qui distribuait la parole aux directeurs généraux du département ainsi qu’aux représentants des principales institutions collatérales du ministère de Finances dont la douane et la Société Monétique Tunisie.

La participation de toutes les parties prenantes à l’application du plan de relance devait rassurer la communauté d’affaires sur la consistance des mesures décodées et déjà initiées, et la réactivité des corps sensibles de la haute administration qui a montré qu’elle est aux prises avec les événements, toutes voiles déployées pour actionner la reprise.

L’économie ressemble à un “Grand corps malade“, et la médication des 67 mesures contenues dans son programme de relance qu’il a dévoilé une semaine auparavant, soit le 22 juillet dernier, est à la fois un protocole de revivification et de refondation.

La rencontre avec les journalistes a été le théâtre de démonstration des six applications digitales phares initiées par le département des Finances. Six plateformes sont mises au point et trois d’entre elles sont déjà opérationnelles.

Le ministre a eu l’honnêteté de préciser que deux de ces plateformes étaient développées par son prédécesseur, Ridha Chalghoum. Les trois autres plateformes sont fin prêtes et sont en phase de test avant la mise à feu.

La collectivité nationale est dans l’attente de pareilles avancées sur le chemin de la digitalisation ; et pareilles réalisations ouvrent la voie à la numérisation tant attendue. C’est du meilleur effet sur le mental des citoyens et des chefs d’entreprise. Quand l’administration renonce à ses archaïsmes et autres anachronismes, cela annonce une rupture avec les pratiques bureaucratiques et autres obstacles dont la corruption.

On ne sait si cela préfigure le nouveau modèle économique de la Tunisie, mais il y a bien un “nouveau contrat fiscal“ mis en place ou qui est en train de l’être.

Malgré la “disette fiscale“, ristourner quand même le crédit d’impôts aux entreprises

Nizar Yaïche insiste sur la nouvelle approche de la gestion transparente des finances publiques. Et cela fait que désormais l’Etat ne tirera pas le drap uniquement vers soi. Il aura le souci d’écouter les appels des chefs d’entreprise. Et malgré la disette fiscale qui sévit, avec une contraction de 12% des recettes, le ministère des Finances n’a pas hésité à restituer les crédits de l’IS et de la TVA aux entreprises. Il s’agit bien d’une enveloppe de 500 millions de dinars, laquelle a apuré les encours des exercices de 2018 et 2019, ainsi que pour les premiers mois de 2020.

Cette réactivité du département prouve bien désormais que les entreprises ont voix au chapitre et que la reconstitution de leur trésorerie est une priorité.

Comment faire repartir l’investissement autrement qu’en reconstituant les cash-flow des entreprises ? C’est une attitude cohérente et responsable. Et elle fera jurisprudence. C’est un élément clé pour faire revenir la confiance chez les investisseurs.

Outre cela, une série de mesures à caractère de soins intensifs, ont été décidées dans la foulée. Désormais les entreprises seront autorisées à réévaluer leurs actifs en franchise d’impôts.

Prenons l’exemple d’une entreprise qui dispose d’un terrain de 1 000 mètres carrés acquis dans les années 70 au prix de 5 dinars le mètre auprès de l’AFI. Elle peut l’actualiser dans son bilan afin de conforter son assise financière sans avoir à acquitter un impôt sur plus-value foncière.

Cette revendication date du siècle dernier et voilà qu’elle trouve son dénouement aujourd’hui. Ajouter à cela la défiscalisation des exportations.

Last but not least, la défiscalisation de l’enveloppe de Recherche et Développement (R&D) est doublée à hauteur de 200 000 dinars. L’on s’attendait à un geste similaire en faveur de la TFP. Peut-être qu’il arriverait ultérieurement.

Nous sommes dans un cas de reconstitution extrême de la trésorerie des entreprises et de dégrèvement optimal des bénéfices. Comment demander aux entreprises de se remettre à investir autrement qu’en engraissant leur cash flow, ce qui ne manque pas de conséquence.

Cependant, on relève qu’aucune mesure favorable à l’épargne n’a été annoncée. Il est utile de rappeler que l’épargne est le moteur principal de l’investissement. Dans cette optique, la BCT rappelle qu’elle veille à ce que son taux directeur reste supérieur au taux d’inflation afin de préserver un taux de rémunération réel positif à l’épargne. Des mesures de soutien ne seraient pas de trop.

La digitalisation pour faire face à l’urgence économique

La conférence de presse fut également un véritable “show numérique“ pendant lequel on a déroulé les démo’ des six plateformes destinées à digitaliser les prestations/déclarations fiscales. Trois plateformes sont fonctionnelles.

La première concerne les échanges de données entre les diverses administrations. Elle conférera définitivement une valeur probante, c’est-à-dire une valeur juridique à la signature ainsi qu’au cachet électronique. Il s’agit d’une plateforme d’interopérabilité faite sous mode UXP (Unified Exhange Protocol) comme le précisait Salah Meddeb, DG du système d’information au ministère. Celle-ci, en offrant une réingénierie des processus papier, à l’instar de ce qui est en cours dans les pays de l’OCDE, éviterait au contribuable/citoyen d’avoir à produire des documents officiels, tels le récépissé de règlement des impôts ou de taxes à chaque guichet administratif. Ceci ouvre la voie au e-Gov.

Cette application aura le mérite d’accélérer le processus de basculement vers la digitalisation de l’administration car elle initie l’intégration des systèmes d’information administratifs entre eux. Elle nous met sur la voie d’un système d’information public unifié. Quelle délivrance !

La seconde concerne le portefeuille électronique, ce qui permet désormais aux contribuables de payer avec leur mobile en plus des autres moyens classiques de la carte bancaire et du chèque.

Cette application nous met sur la voie du decashing lequel, rappelons-le, est un moyen suprême pour lutter contre l’informel.

La troisième, très originale, est Nibniow Touness. Il s’agit d’un portail/forum permanent modéré par le ministère des Finances qui entretient un débat sur les questions économiques et fiscales au départ des suggestions émises de la part des citoyens.

La quatrième concerne la généralisation des attestations de retenue à la source, disposition importante notamment dans l’exécution des marchés publics.

La cinquième se rapporte à la dématérialisation des procédures. Elle permet à titre d’exemple l’achat numérisé des timbres fiscaux et sa généralisation chez l’administration concernée.

Quant à la sixième, elle a trait à la RSEE (responsabilité sociétale et environnementale de l’entreprise). Il s’agit d’un portail sur lequel les citoyens, les régions, les collectivités locales et publiques peuvent inscrire leurs projets relevant de l’économie sociale ou de la transition environnementale.

Les entreprises, dans le cadre de leur engagement RSE, viendront proposer des financements dédiés. Ces derniers seront défiscalisés. La plateforme sera dénommée rse.finances.gov.tn, et le ministre a rappelé qu’elle a été développée avec le concours de l’IACE (Institut arabe des chefs d’entreprise).

Une Delivery Unit composée de huit directeurs du département, présidée par Abderrahmane Khochtali, lui-même DG au département, fera le suivi de l’application des mesures du plan et de l’avancement des plateformes.

Son président s’engage à éditer un communiqué hebdomadaire et fera un point de presse mensuel. Il faut rappeler que la période de réalisation du plan de relance s’étaler sur une période 7 à 9 mois.

Abderrahmane Khochtali s’engage à une célérité de réalisation de prévalant des réalisations remarquables, en période de crise de la Covid-19 assurées en des temps record.

Mais il a manqué, selon nous, d’adresser un mot de remerciement particulier aux entreprises Tech qui se sont tenues aux côtés de l’administration en apportant leurs expertises et leurs concours financiers.

D’ailleurs, le portefeuille digital a été mis au point en trois semaines de temps, notamment grâce à la contribution déterminante des entreprises Tech du privé. Et, avancée suprême, l’administration a consenti qu’une personnalité du privé de gérer la maîtrise d’œuvre pour cette application. Un geste de gratitude se fera en différé, nous en sommes persuadés.

Vers un grand ministère de l’Economie et des Finances ?

Nizar Yaïche campe une posture de “Chancelor of Exchequer“, profil anglo-saxon du ministre des Finances. Auquel il apporte sa forte individualité, sa jeunesse, ainsi que sa fraîcheur d’esprit tel David Cameron ou Tony Blair, en leur temps.

Chacun de ses actes et faits d’arme doit générer un effet économique. Son programme de relance doit rapporter à l’Etat 1,1 milliard de dinars cette année et 2,5 en 2021. L’hypothèse est optimiste mais néanmoins plausible.

Le ministre profile de la sorte une nouvelle configuration de son département pour devenir un “grand ministère de l’Economie et des Finances“. Et c’est bien dans l’esprit du temps. Il prend à bras le corps la cause de la reprise économique.

Il va encore plus loin en envisageant d’intégrer le circuit informel dans le circuit organisé. Il a soumis un projet de loi à l’ARP afin de régler cette question contre un impôt définitif, libératoire et sans recours de contrôle.

Toutes les propositions du ministre des Finances recouvrent une logique de réforme profonde. Elles demandent du courage. Elles n’en donnent pas moins de la visibilité aux opérateurs économiques et du ressort à la politique de développement du pays. Leur application nous renvoie à un horizon de plusieurs mois. Le gouvernement pourrait être amené à rendre le tablier dans l’intervalle. Est-ce que le nouveau CDG ferait quitter le navire à un ministre aussi profondément réformateur ?

On ne le souhaite pas… pour le bien du pays !