La démission du chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, risque de retarder les négociations entamées avec le Fonds monétaire international (FMI) pour conclure, dans les prochains mois, un nouveau programme quadriennal de financement.
Par Abou Sarra
Pour mémoire, cette nouvelle a été annoncée, lundi 13 juillet 2020, par Nizar Yaïche, le ministre des Finances, lors d’une conférence de presse consacrée à la présentation du “Plan de sauvetage économique post-Covid-19“.
La même information a été relayée le même jour par Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international (FMI). Textuellement il a déclaré que «le FMI est prêt à accorder un financement à la Tunisie en cas de demande de la part du gouvernement tunisien d’un nouveau programme».
Entendre par-là que la Tunisie a désormais le feu vert pour contracter une nouvelle dette auprès du FMI laquelle serait suivie, comme le veut la tradition, par d’autres engagements financiers de la part des autres bailleurs fonds.
Plus simplement, cela signifie que sans la démission d’Elyès Fakhfakh, la Tunisie aurait pu disposer d’importants apports financiers de la part des bailleurs de fonds pour financer son budget 2020. Ce même budget, qui a été adopté dans des circonstances difficiles en raison des pressions exercées par les élections générales de 2019, va nécessiter avant la clôture de l’exercice une loi de finances complémentaire pour boucher les failles et corriger les fausses prévisions élaborées à la hâte.
Mais comment la Tunisie peut-elle négocier avec le FMI ?
Seulement, la Tunisie ne peut disposer de ces fonds que lorsque le pays aura un nouveau chef de gouvernement et un gouvernement en bonne et due forme, c’est-à-dire un gouvernement officiellement reconnu qui aura la latitude de négocier au nom de l’Etat tunisien.
Donc le scénario du dernier trimestre 2019 qui n’a pas permis, à défaut de légitimité, au gouvernement Chahed chargé des affaires courantes à l’époque, de négocier avec le FMI le décaissement des deux dernières tranches (1,2 milliard de dollars) du dernier prêt FMI (2,9 milliards de dollars) et leur annulation par la suite, semble se répéter.
Pour y remédier, deux solutions pointent à l’horizon. La première consiste en la validation, dans les meilleurs délais, d’un nouveau gouvernement. Une telle hypothèse suppose un grand sens de la responsabilité de la part des institutions de l’Etat, particulièrement de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), ce qui est loin d’être le cas au regard des tensions qui prévalent au sein du parlement.
Conséquence : il y a des risques que la période exigée, constitutionnellement, pour former et valider un nouveau gouvernement prenne beaucoup de temps comme ce fut le cas avec le projet de gouvernement avorté de Habib Jemli (fin 2019 – début 2020), lequel, avant d’être rejeté, avait pris plus de deux mois de tractations pour voir le jour.
Quelles alternatives à l’emprunt extérieur ?
La deuxième solution est une approche proposée par Elyès Fakhfakh (avant sa démission bien entendu). Celle-là même qui consiste à dissuader, cette année, tout nouvel endettement et à compter sur nos propres ressources.
Depuis son investiture, au mois de mars 2020, le désormais ancien chef du gouvernement a martelé que «l’endettement de l’Etat a atteint le chiffre effrayant de 92 milliards de dinars tunisiens, soit 82% du PIB, et que la dette extérieure, estimée à 60% du PIB, a dépassé la ligne rouge».
Et Fakhfakh d’ajouter : «Je suis contre l’endettement extérieur. Il n’est plus question d’en rajouter. Le pays est (…) hypothéqué à l’étranger. Et sa cotation sur les marchés financiers est des plus faibles. Il faut désormais compter sur nos propres ressources».
Interpellé par le JT de 20 heures d’al wataniya 1, du 13 juillet 2020, sur les ressources alternatives auxquelles le chef du gouvernement d’alors compte recourir pour financer le budget de l’Etat, le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Slim Azzabi, a déclaré que le gouvernement se propose d’explorer quatre pistes.
La première consiste à réduire la compensation et à n’en faire bénéficier, par l’effet de la digitalisation que ceux qui en ont besoin. La deuxième vise à faire la guerre à l’économie de rente, notamment à ce que l’ancien président français François Mitterrand appelait «l’argent dormant dans les banques», voire l’épargne bancaire.
Pour le gouvernement, cette épargne (un pactole estimé à environ 20 milliards de dinars) «doit servir à l’investissement et à la consommation».
La troisième porte sur les mécanismes à mettre en place pour amener le secteur informel à intégrer le circuit formel et à générer par conséquent de nouvelles recettes fiscales pour le budget de l’Etat.
Quant à la dernière piste à explorer, selon Azzabi, elle concerne les négociations menées actuellement par la Tunisie avec la France, l’Italie, le Qatar et l’Arabie saoudite pour le report ou le rééchelonnement de crédits contractés auprès de ces pays.
Cette volonté de l’équipe gouvernementale de l’ancien chef du gouvernement de réduire la dette extérieure est à saluer…
Mais au regard des tensions politiques qui secouent le pays, tout projet de réforme et tout projet de négociations avec les pays partenaires et bailleurs de fonds s’annoncent très difficiles.