La rentrée politique a été, le moins qu’on puisse dire, catastrophique pour les médias tunisiens. Par manque de professionnalisme et souvent par précipitation, des journalistes ont porté d’énormes préjudices à des personnes physiques et morales en traitant deux affaires délicates qui ont particulièrement marqué l’opinion publique.
Abou Sarra
Il s’agit des effets collatéraux de l’attentat perpétré à Akouda (nord de Sousse) contre des agents de la garde nationale, faisant un mort et un blessé grave, d’une part, et de l’arrêté conjoint entre le ministre de l’Industrie et des Petites et moyennes entreprises et du ministre du Commerce autorisant l’utilisation des sacs en plastique pour emballer le ciment, d’autre part.
Lynchage d’un simple citoyen par les médias
Dans le premier cas, quelques minutes après l’attentat et l’élimination des trois terroristes qui ont commis ce crime, certains médias, sans aucune réserve et sans prendre les précautions d’usage, se sont empressés de publier la photo d’un soi-disant quatrième terroriste qui aurait joué le rôle de logisticien.
Une présentatrice du journal à la télévision El Wtaniya 1 a même pavoisé d’avoir réalisé un scoop. Les réseaux sociaux et le reste des médias ont relayé la chaîne pour traiter le pauvre citoyen de tous les noms. Certains sont allés jusqu’à demander sa pendaison sur les lieux.
Pis, compte tenu de l’importance de la thématique du terrorisme pour les médias, sa photo fut reproduite par plusieurs chaînes à travers le monde.
Après les vérifications d’usage effectuées par la police, ce pauvre travailleur journalier, serveur dans un café à Sahloul (Sousse), se trouvait sur les lieux en train de faire du stop, un rituel qu’il accomplit chaque jour pour rentrer chez lui à Sidi Bou Ali après avoir terminé son travail de nuit. Il était, comme on dit, par malchance au mauvais moment et au mauvais endroit.
Mieux, les caméras du café où cet ouvrier travaillait ont prouvé qu’il a bien quitté son job à 8 heures alors que l’attentat a eu lieu à 6 heures 45 minutes.
Présenté au public lundi 14 septembre, par l’émission « Les quatre vérités » sur la chaîne privée d’El Hiwar Ettounsi, Faouzi Salaani, le serveur de café concerné, a raconté, de manière émouvante, le cauchemar qu’il a vécu par l’effet de l’hypermédiatisation de sa photo par les médias.
Abattu et déstabilisé, il n’a pas pu faire le déplacement, à Tunis, pour participer à l’émission.
Le véritable lobby cachait son jeu
La deuxième affaire concerne l’arrêté conjoint publié dans le JORT par les ministères de l’Industrie et du Commerce.
Relayant une alerte lancée par le député Yassine Ayari et faisant état de soupçons de corruption dans cette affaire, des médias, soutenus par de faux experts, se sont donnés à cœur joie pour crier au scandale et traiter de tous les noms et les ministres sortants (qui ont pris cette décision) et le prétendu lobby bénéficiaire.
Le député Yassine Ayari a évoqué même un marché de 500 millions de dinars (MDT), annuellement, et le bénéficiaire présumé de ce marché, qui serait un certain Nasr Ali Chakroun, patron du groupe 3S, et propriétaire de BioPack Tunisie, société spécialisée dans la fabrication de granules pour film et fabrication d’emballage biodégradable composable.
Selon nos investigations, cet industriel, accusé d’être un proche du parti Attayar de Mohamed Abbou (super-ministre dans le gouvernement Elyès Fakhfakh) et qui serait derrière ce marché, s’est avéré totalement en dehors de cette affaire. Sa société BioPack est une société totalement exportatrice. Elle n’aurait jamais vendu quoi que ce soit en Tunisie pour une raison simple : ses produits sont trop chers.
Toujours selon nos investigations, la véritable société qui va bénéficier de ce marché d’emballage de 30% de la production du ciment dans des sacs en plastique n’est autre que la société COFISAC –pour Comptoir des filatures et des sacs-, spécialisée dans la fabrication des sacs en jute, toile, papier et plastique (propylène)…
C’est dans l’esprit de briser le monopole, d’améliorer la compétitivité de la tonne de ciment emballée à l’export et de créer, in fine, une concurrence saine entre les fabricants de sacs en propylène et de sacs en kraft que cet arrêté a été publié.
Les médias et les experts invités, qui se sont intéressés à ce dossier, ne l’ont traité que sous l’angle écologique, alors que le problème majeur posé par cette affaire lève le voile sur les effets néfastes de l’économie de rente et la collusion entre des ministres et des groupes importateurs puissants.
Si nous avons évoqué ces dérapages, c’est pour attirer l’attention des médias de vérifier leurs sources et de privilégier le discours contradictoire, deux règles basiques en matière de professionnalisme journalistique.
A bon entendeur.