Nous avions espéré, nous avions rêvé de voir Kaïs Saïed mettre le costume d’un véritable chef d’Etat près d’une année après son élection.
Nous avions voulu mettre nos doutes et nos peurs de côté pour croire que notre pays, détruit par une révolution mascarade, puisse récupérer un peu de prestige, de dignité et de son superbe d’antan, même de celui du temps de la « dictature ».
Nous avions supposé que les quelques mois à Carthage et ses rencontres avec ses homologues d’autres pays donneraient à notre président ne serait-ce qu’une petite idée sur ce que doit être un président.
Nous avions cru que bien assis sur son siège à Carthage, il enlèverait l’habit du maître-assistant-prêcheur-justicier pour mettre le costume du président unificateur, rassembleur, tolérant et visionnaire.
Nous avions escompté que, face à une Tunisie qui a souffert, il y ait un président qui lui redonne de l’espoir.
Mais non. Notre cher président n’arrête pas de nous surprendre par un populisme qui va crescendo jusqu’à menacer de mettre fin à toute représentation respectable de l’Etat.
La brimade publique reçue mercredi 23 septembre par le CDG a de quoi nous faire regretter une démocratie qui nous a ramené à la tête de l’Etat des personnes qui n’ont aucun sens de l’Etat et qui n’ont aucune idée sur le mal qu’elles peuvent porter à son image lorsque le premier représentant de l’exécutif est invectivé en public et pas pour les bonnes raisons.
Le président tunisien, sensé se mettre au dessus de la mêlée, unir et penser intérêt de la nation avant tout, agit en justicier pour critiquer le choix de hautes compétences reconnues en Tunisie et ailleurs avant même que la justice ait tranché.
Ce qui fait dire au journaliste Hechmi Nouira : « Monsieur le président, vous êtes en train de pousser tout le monde dans les bras de la Nahdha ! J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt et d’inquiétude ce que la présidence de la République a divulgué à propos de votre rencontre avec le Chef du Gouvernement. Indépendamment du fait que l’image véhiculée est que le maître de la Kasbah portait le masque d’usage à cause de la Covid-19, alors que celui de Carthage ne le portait pas, ce qui mérite une réflexion approfondie, vos propos sont dangereux. Ce que vous avez mentionné à propos de certaines personnes et personnalités de l’ancien régime est contraire à la loi et constitue une préemption sur des décisions judiciaires qui n’ont pas encore été rendues et c’est une forme de populisme qui touche à l’ingérence dans l’autorité judiciaire… Vous êtes celui censé protéger le justiciable de l’injustice de la justice, le cas échéant, et vous êtes celui censé garantir la bonne mise en œuvre de la Constitution et de la loi. Vous êtes celui censé savoir que la personne est innocente jusqu’à preuve du contraire ! Votre position de président vous autorise-t-elle à des gens sans aucune condamnation ? Monsieur le président, l’idéologie populiste que vous dissimulez par un esprit révolutionnaire peut, peut-être, être appréciée à court terme, mais elle sera une malédiction pour le peuple et l’État à moyen et long terme ».
Que pouvons-nous ajouter de plus lorsque l’Etat est ridiculisé par le chef de l’Etat lui-même ?
A qui devons-nous reprocher ce populisme dramatique pour le pays quand une grande partie de nous autres Tunisiens avait ressenti un bonheur sans pareil lorsque Kaïs Saïed avait convoqué Rached Ghannouchi -président de l’ARP-, et Elyès Fakhfakh -CDG sortant- pour leur donner une “leçon de droit constitutionnel“ et leur rappeler les pouvoirs dont il dispose pour mettre à mal un nouveau gouvernement qu’il n’apprécierait pas, les humiliant devant des millions de Tunisiens ?
Nous avons droit régulièrement à un « Aujourd’hui je convoque un ministre et je le castre devant des millions de Tunisiens »
Nous nous attendions peut-être à ce que l’épisode “Aujourd’hui je convoque un ministre et je le castre devant des millions de Tunisiens“ prenne fin avec les dernières rencontres des deux ministres des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, le partant, et la nouvelle que le président a priés de mettre fin à l’impunité dont jouissent certains hauts responsables !
Mais non, cela continuer et c’est de mal en pis !
Kaïs Saïed a-t-il réfléchi une seconde à l’image qu’il renvoie aux administrés des uns et des autres ? Au coup qu’il porte à leur autorité auprès de leurs agents et employés ?
A-t-il pensé aux conséquences de ses discours vindicatifs sur l’ensemble des Tunisiens et en prime ceux dont les procès sont en cours et à la confiance déjà ébranlée dans le système judiciaire qui va être totalement détruite ?
Notre président est-il conscient qu’il est le président de tous les Tunisiens quelle que soit leur race, leur religion ou leur appartenance socioéconomique ? Kaïs Saïed a-t-il seulement quitté les cercles de discussion des activistes politiques de dernière heure pour se rappeler qu’il doit traiter tous les Tunisiens de la même manière et qu’il doit les protéger et garantir leurs droits ?
Kaïs Saïed va-t-il continuer à laisser ses ressentiments personnels, à l’encontre de certains pans de notre société, prendre le dessus sur son devoir de protéger et de sécuriser tout le monde et de la même manière ?
Et s’il est des décisions qu’il doit prendre, ce sont peut-être celles de mettre fin aux batailles traitres livrées par les bandits d’El Kamour et les corrompus du phosphate contre les hauts intérêts économiques du pays.
A force d’avoir géré le pays par la haine et la vindicte sans grandeur, sans sagesse, sans vision et sans amour, classes politiques et peuples agissent et réagissent en fonction de leurs sentiments les plus mesquins se délectant des erreurs d’autrui et jouissant de toute brimade subie par une figure publique, quelle que soit son orientation politique ou son positionnement économique.
Et aujourd’hui que reste-t-il de l’Etat lorsqu’un CDG est publiquement remis à sa place par un président et que ses propos sont repris dans un communiqué officiel émanant de la présidence de la République ?
Comment est-ce possible qu’au lieu d’être dans la tolérance et dans l’amour des autres, le président de la République adopte les mêmes postures que le parti Attayar, un parti dont la seule doctrine est celle de la haine et de la vengeance ?
«Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé». Cette citation est celle de Nelson Mandela. Le saviez-vous monsieur le président ? Un Nelson Mandela qui a été emprisonné pendant plus de deux décennies et dont le peuple était traité en esclave.
Chez nous par contre et jusqu’à nouvel ordre, toute l’Administration publique est un pur produit bourguibien suivi ensuite par Ben Ali. Alors, détestez les présidents autant que vous voulez, mais ne vous en prenez pas aux compétences de la Tunisie, car c’est à la sueur du front de leurs compatriotes qu’elles le sont devenus.
Vous n’êtes pas Omar Ibnou Il Khattab, monsieur le président, vous êtes un élu d’une prétendue démocratie du 21ème siècle où tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs et doivent en bénéficier de la même façon.
La Tunisie a besoin de plus que cela, monsieur. La Tunisie a besoin d’un président qui rassure, qui sécurise, qui voit grand et loin.
Vous, monsieur, vous nous faites peur.
Amel Belhadj Ali