La pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet le secteur de la culture dans le monde en général et en Tunisie en particulier. Cette crise sanitaire qui prend de l’ampleur un peu partout dans le monde a eu des répercussions notamment sur le secteur de l’édition et du livre et cette situation risque de s’aggraver davantage avec l’évolution rapide du coronavirus.
Dans l’interview ci-dessous accordée à l’Agence TAP, le président de l’Union des éditeurs tunisiens (UET), Mohamed Riadh Ben Abderrazzak, fait un tour d’horizon sur plusieurs points, soulignant que cette crise a largement fragilisé le secteur de l’édition qui connaissait déjà depuis longtemps d’énormes problèmes au niveau du coût élevé du papier, de l’augmentation des coûts d’impression et de l’absence remarquable des circuits de distribution et de diffusion du livre tunisien.
Sans l’appui de l’Etat qui devrait honorer ses engagements en matière notamment d’aides du Fonds Relance Culture (FRC) et des stratégies efficientes, souligne-t-il, le secteur de l’édition et du livre ne résistera pas longtemps.
A la lumière de la situation actuelle du secteur du livre et de l’édition, le président de l’UET lance un appel urgent à l’Etat pour sauver le livre qui, à l’ère du coronavirus, est devenu un luxe.
Pouvez-vous nous dire quelle est la situation exacte du livre et de l’édition depuis l’apparition de la Covid-19 en Tunisie ?
Mohamed Riadh Ben Abderrazzak: Déjà avant la coronavirus, le livre se trouvait dans une situation précaire. L’épidémie n’a fait qu’aggraver la crise au point où l’éditeur tunisien est actuellement menacé de faillite, surtout que nous ne voyons pas de signes d’espoir.
Pouvez-vous nous dire exactement comment vous évaluez les pertes que supportent les éditeurs tunisiens ?
Je parle de pertes sur tous les plans. Le taux des ventes par exemple ne dépasse pas 10 pour cent par rapport aux années précédentes, ce qui signifie que les éditeurs sont incapables de payer leurs dettes envers les imprimeurs. Pire encore, ils ne parviennent même pas à payer leurs employés, ce qui les a obligés au licenciement du personnel.
A la suite du coronavirus, il a été créé le Fonds Relance Culture (FRC). Comment a profité le secteur du livre et de l’édition de ce Fonds ?
Jusqu’à présent, nous n’avons tiré aucun profit du FRC en dépit des promesses et des engagements pris. D’ailleurs, un nombre très réduit d’éditeurs va en profiter vu les procédures compliquées. Voilà que la nouvelle vague de la pandémie a surgi, et nous attendons encore que les promesses soient tenues.
Quelles solutions envisagez-vous pour sortir de la crise ?
A la lumière de ce que nous avons vécu et que nous vivons actuellement, les horizons semblent fermés. Nous ne pouvons pas parler de propositions sans l’appui de l’Etat qui devrait assumer ses responsabilités et ses engagements vis-à-vis de l’ensemble d’ailleurs du peuple de plus en plus fragilisé par la pandémie. Si nous continuons sur cette voie, c’est la faillite totale dès lors que les circuits de distribution sont fermés et les foires du livre nationales et arabes sont annulées. Les libraires sont aussi en état de crise vu que le client d’avant ne cherche en cette conjoncture qu’à parvenir à ses besoins vitaux. Le livre à l’ère du corona est devenu un luxe.
La Covid-19 a affecté les circuits de vente et de distribution du livre tunisien. Mais est-ce que la vente en ligne a été efficace selon vous ?
Honnêtement, l’expérience de vente en ligne est devenue de plus en plus une vogue pendant la pandémie. Il y a eu des expériences individuelles mais elles ont échoué. L’opération de poster le livre au lecteur via la Poste ou par le bais de sociétés spécialisées doit être révisée sur le plan des délais d’envoi des commandes ou au niveau du paiement, ce qui pourrait expliquer que le lecteur tunisien ne procède pas à l’achat en ligne du livre.
En ce qui concerne la vente des livres dans des copies numérisées, on peut dire aussi qu’il s’agit d’expériences qui ont échoué car ce genre de vente n’est pas encore dans nos traditions d’édition en Tunisie, sans oublier le problème du piratage et du non respect des droits d’auteur.
En plus, le marché tunisien est trop limité et le marché mondial n’est malheureusement pas accessible vu que les lois de notre pays ne permettent pas le paiement électronique extérieur et ne facilitent pas ainsi la vente du livre tunisien en dehors des frontières.
La Foire internationale du livre de Tunis 2020 va-t-elle se dérouler dans les délais selon vous ?
D’après les derniers communiqués gouvernementaux, les doutes planent et il me semble évident que la tenue de la foire au mois de novembre n’est pas sûre à la lumière de l’évolution rapide de la pandémie de la Covid-19.
Vous avez eu la semaine dernière un entretien avec le ministre de la Culture (démis de ses fonctions le 5 octobre 2020), Walid Zidi. Quels sont les décisions et engagements pris pour soutenir le secteur de l’édition ?
En réalité, c’était la première réunion avec Walid Zidi qui a semblé très conscient de la gravité des choses. D’ailleurs, on a convenu de la création d’un comité de pilotage mixte rassemblant l’Union des éditeurs tunisiens, le ministère des affaires culturelles et les autres structures professionnelles. Sa mission est d’oeuvrer ensemble et selon une démarche participative culturelle en vue d’examiner les problèmes actuels et de trouver des solutions à court, moyen et long terme afin de promouvoir le secteur.
L’industrie du livre souffre de la crise du papier et de son coût élevé. Que suggère l’UET ?
Là aussi les solutions dépendent de l’Etat. Tous les pays du monde ont mis en place des lois pour exonérer le livre des différentes taxes à l’exception de la Tunisie qui a opté plutôt pour la subvention du papier. Cependant, le budget alloué au secteur ne cadre pas avec le rythme accéléré de l’évolution des publications tunisiennes et l’augmentation du nombre des nouveaux éditeurs, ce qui a aggravé la crise.
En termes de chiffres par exemple, plus de 400 bibliothèques publiques existent en Tunisie alors que le taux d’acquisition ne dépasse pas 150 copies pour le livre culturel.
Est-ce que nous sommes face à une crise d’écriture ou une crise de lectorat ?
En réalité nous sommes face à un problème de réflexion et d’absence de stratégies efficientes pour soutenir l’effervescence culturelle que connait le pays au niveau du livre et du point de vue niveau du lectorat. Il ne faut pas oublier que le livre tunisien a depuis la révolution conquis les marchés arabes dès lors qu’il est devenu prisé par le lecteur arabe en particulier. Plusieurs auteurs et ouvrages ont remporté des distinctions et des prix pour la qualité des ouvrages à l’échelle internationale et régionale.
Nous connaissons un essor au niveau du lectorat et ceci s’explique par l’augmentation du nombre de clubs de lecture et d’associations chargées du livre tunisien, ce qui s’est concrétisé par les séances de dédicace en présence des auteurs ou de personnalités culturelles de renommée. Nous connaissons tous l’expérience “Lis tunisien” qui a connu un grand succès sur les réseaux sociaux et s’est concrétisée dans la réalité.
Comment voyez-vous l’avenir du livre tunisien ?
Nous demeurons optimistes en dépit des nombreuses difficultés et problèmes qui se posent et nous parions sur la nouvelle génération qui a tout de même témoigné de sa prise de conscience de la valeur du livre tunisien et de sa fierté de la culture nationale.