Je crois qu’il n’y a jamais eu, depuis la Seconde Guerre mondiale, un événement qui a autant bouleversé le monde et alimenté un aussi grand nombre de controverses tant scientifiques que politiques, économiques et sociales, que cette pandémie de coronavirus.
Elle a affecté notre quotidien, nos liens affectifs, notre regard sur l’autre. Elle a bouleversé nos habitudes et nos petits rituels journaliers, chamboulé le sens de certaines de nos expressions : « soyez positif » est devenu terriblement négatif.
Par Lotfi Farhane, Pr des universités
Désormais, on craint de se toucher, ce fabuleux langage non verbal qui permet de communiquer nos attitudes et nos émotions, prenant le sens d’une caresse amicale ou traduisant l’expression d’une marque d’attention, devient tout à coup interdit, de même que la poignée de main et l’accolade qui sont de meilleure mise dans les relations sociales et un marqueur social distinctif des pays latins et méditerranéens.
Comme si cela ne suffisait pas, il vient s’ajouter à cette carence sensorielle, l’impossibilité, avec le port du masque, d’offrir son sourire à l’autre, l’élément de base de la chaleur humaine.
Tous ces déficits réunis font que de plus en plus nos rapports se teintent de méfiance, de froideur, de distance et de rigidité !
Son impact en Tunisie s’est fait sentir avec plus d’acuité du fait que le pays était déjà plongé dans une profonde léthargie
Elle a partout affecté le rythme de travail, ralenti la production, fait régresser la productivité et baisser le taux de croissance. Son impact en Tunisie s’est fait sentir avec plus d’acuité du fait que le pays était déjà plongé dans une profonde léthargie et que nous ne sommes pas des bêtes de travail …
Néanmoins, quand on prend le recul nécessaire, on comprendra que ce virus sera vaincu et qu’on en trouvera bien un vaccin, ce n’est qu’une question de temps … Il ne restera alors de cette pandémie qu’une date pour aller rejoindre toutes celles antérieures qui ont jalonné l’histoire de l’humanité.
Des dirigeants qui considèrent la pandémie comme une aubaine, profitant de la détresse des citoyens pour se sucrer sur leurs dos en spéculant sur le prix des tests
Cependant, pourrait-on en dire autant du “Covid mental“ qui frappe la majorité de nos représentants à l’Assemblée et aussi nos dirigeants qui voient en ce virus une aubaine, profitent de la détresse des citoyens pour se sucrer sur leurs dos en spéculant sur le prix des tests et sur la rareté des vaccins contre la grippe saisonnière ?
Il faut se rendre à l’évidence que ce Covid mental est difficile à guérir et impossible de lui en trouver un vaccin efficace …
Tous au pilori !
Apertement, cette pandémie a eu peu d’incidence sur mon travail à l’université, si ce n’est la disparition du seau d’eau qui trônait nonchalamment sur une chaise près du tableau dans les salles de cours et auquel je m’étais beaucoup attaché, une initiative prise sans aucune concertation par l’administration, pensant arbitrairement que son usage serait potentiellement un vecteur de transmission du virus, ce qui, à mon avis, relève plus de la pensée paranoïaque que de conclusions de travaux scientifiques sérieux.
je suis un inconditionnel et un fidèle adepte du bâton de craie pour écrire au tableau et d’un chiffon trempé dans l’eau dans l’autre main pour l’essuyer
On dira ce qu’on voudra, mais moi, je suis un inconditionnel et un fidèle adepte du bâton de craie pour écrire au tableau et d’un chiffon trempé dans l’eau dans l’autre main pour l’essuyer, c’est à la fois propre, sain, économique et écologique. Peut-on espérer plus ?
Sérieusement, combien faudrait-il de temps à nos décideurs et leurs éminences grises pour comprendre que l’évolution de l’enseignement ne se traduit guère par la construction de locaux neufs et pimpants, l’introduction de nouveaux outils de présentation des cours tels que les data show, les rétroprojecteurs, les tableaux tactiles ou encore les ardoises intelligentes pour les écoliers ? Ce n’est pas l’essentiel …
L’image venant de certains pays africains, montrant une classe dans un village reculé avec des enfants dans la nature, assis à même le sol autour de leur maître, à l’ombre d’un majestueux baobab, est superbement belle et hautement significative !
Le travail des maîtres doit être axé sur le titillement de la curiosité, l’exploration de potentiels
L’évolution de l’enseignement doit être synonyme d’évolution des programmes et de développement des méthodes d’enseignement.
Au primaire, elle passe par l’allègement du cartable de l’écolier en allant vers les fondamentaux plus que le remplissage, le développement du sens civique en inculquant les principes du respect de l’autre, de l’environnement et l’acceptation de la diversité qui sont les premiers pas vers la découverte de la citoyenneté.
Le travail des maîtres doit être axé sur le titillement de la curiosité, l’exploration de potentiels et l’aide à l’épanouissement et la meilleure définition des goûts et aptitudes des enfants.
Dans certaines régions rudes de l’intérieur du pays, les besoins immédiats des élèves se limitent encore à un moyen de transport décent pour accéder à l’école et à un repas chaud à midi, ce qu’avaient compris soixante années plus tôt, deux visionnaires, Ben Salah et Bourguiba, en instaurant les cantines scolaires et les internats dans les lycées …
Dans certaines régions rudes de l’intérieur du pays, les besoins immédiats des élèves se limitent encore à un moyen de transport décent pour accéder à l’école
Au secondaire, un plus grand espace horaire sera accordé aux humanités. Au lieu de développer cette industrie des cours particuliers, les professeurs se doivent de se pencher sur l’élaboration d’outils adéquats pour une meilleure transmission de l’information, de fournir à l’élève les explications les plus pertinentes. Dans cette optique, ils n’hésiteront pas à ouvrir de larges parenthèses, des fenêtres de savoir et ne pas présenter leurs enseignements comme une matière atone, prémâchée et rabâchée telle une recette de cuisine.
Le but ultime étant d’élever le niveau de réflexion de l’élève vers plus de rationalité, de profondeur et de maturité en vue de l’acquisition et du développement d’un sens critique pour les prémunir contre la perméabilité aux discours enrobés, véhiculant une morale adossée à la haine et les dangereuses tentatives d’embrigadement, et éviter qu’ils ne rejoignent le troupeau de tous ces jeunes à l’esprit futile, gavés par l’émotionnel, le divertissant et le ludique, ou encore biberonnés aux idéologies obscurantistes et fascistes.
Rénover les programmes dans les universités
À l’université, il est urgent de rénover les programmes, créer de nouvelles filières prometteuses et accroître les passerelles entre elles pour rester en phase avec les incessantes avancées technologiques. Au lieu de réfléchir à des formations dans les domaines, actuellement de pointe : les “Big Tech”, les Big data, la cryptographie, l’intelligence artificielle, les énergies nouvelles, les textiles intelligents … on en est encore à dispenser des cours figés dans des licences désuètes. J’ai vu par hasard l’année dernière chez des étudiants de chimie, une copie d’un fascicule de TP tapé au dactylo ! C’est dire …
Un autre problème capital se pose à l’université qui est la formation des formateurs. Cela vaut la peine d’y faire un détour ! Je vais prendre, sans perte de généralité, l’exemple des maths : on reçoit dans les filières de licences de maths, sauf de très rares exceptions, des bacheliers qui, en employant un euphémisme, ne sont pas doués en maths, les meilleurs vont vers les filières dites nobles … Ils vont trébucher et demeurent des années durant avant de décrocher péniblement la licence, qu’ils n’arriveront pas à monnayer sur le marché du travail. Donc, faute de mieux, ils se résolvent à faire des masters que je qualifie de “sociaux“. Puis ceux qui arrivent au bout trouvent un collègue pas très regardant sur le niveau, qui confond faire de la recherche et faire soutenir des thèses, voulant faire tourner sa boutique ou ajouter une ligne à son CV en vue d’un passage de grade ou encore courant derrière la petite prime financière instaurée, pour leur faire bidouiller une thèse de mathématiques faites dans un bout de mouchoir …
Avec des postes au compte goutte, ces titulaires de doctorat au rabais, sans culture mathématique et sans aucune expérience pédagogique, se retrouvent généralement recalés devant les commissions de recrutement et finiront par grossir le rang de ce qu’il est convenu d’appeler “les docteurs chômeurs“ et qui font actuellement le sit-in aux portes du ministère …
J’imagine que la situation n’est pas mirifique dans les autres disciplines …
Les solutions qu’on leur propose sont ridicules, du pur rafistolage et à effet placebo !
Ne cherchez pas trop les responsables de cet état de fait qui tire inexorablement vers le bas … Nous le sommes tous !
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