L’Union pour la Méditerranée (UpM) lance, en mars 2021, un fonds régional pour le financement des projets climatiques dans le Sud de la Méditerranée; elle est disposée à aider les pays membres à émettre des obligations vertes pour remplacer le recours à des prêts à intérêt élevé. C’est ce qu’a déclaré le secrétaire général de l’UpM, Nasser Kamel.
Cet Egyptien diplomate de carrière revient, dans une interview accordée à l’Agence TAP, sur ce fonds et sur les actions engagées par l’UpM qui fête, cette année, un quart de siècle du Processus de Barcelone, connu sous l’appellation de ” Partenariat Euromed “, dans le domaine de lutte contre les changements climatiques et d’autres dossiers à dimension régionale.
Ce Fonds régional pour le financement des projets climatiques du sud de la Méditerranée sera-t-il prêt, en mars 2021 ?
Nasser Kamel: Le Fonds est actuellement en phase de création; il sera lancé en mars 2021 et sera doté d’un montant de démarrage d’une valeur de 250 millions d’euros (environ 806,8 millions de dinars tunisiens). Cette enveloppe n’est pas importante en soi, car l’UpM ne dispose pas de capacités financières importantes, mais l’intérêt de cette initiative réside surtout dans l’impact qu’elle va avoir et la dynamique qu’elle ne manquera pas de créer dans la région. Elle servira notamment de modèle à suivre.
Les financements de ce fonds proviendront notamment des fonds d’investissement internationaux privés, dont le Fonds Vert pour le Climat (FVC), outre une partie des engagements internationaux pris dans le cadre du Sommet de la Terre.
Six ou sept pays du sud de la Méditerranée, dont la Tunisie, le Maroc et la Jordanie, vont faire partie du premier groupe de pays bénéficiaires de ce fonds.
L’UpM a annoncé, en juillet dernier, que la résilience face aux changements climatiques est une priorité absolue. Cette annonce sera-t-elle traduite dans des projets concrets ?
Une étude scientifique sur l’impact des changements climatiques sur la région a été menée par un groupe de 82 scientifiques qui ont ensuite formulé et soumis des recommandations aux décideurs de nos pays.
Ces recommandations concernent l’adaptation aux effets du changement climatique et la réduction de ses répercussions, l’investissement dans l’économie verte, l’économie bleue ou encore les activités économiques durables.
L’étude préconise l’adoption de politiques claires en ce qui concerne le recours progressif aux sources d’énergie nouvelles et renouvelables et la mise en œuvre des engagements pris par nos pays lors du Sommet de la Terre de Paris, notamment en vue la réduction d’un degrés et demi (1,5° C) des températures, lequel objectif n’a pas été atteint jusqu’à présent.
Quant à la prochaine étape, une réunion regroupera, en mars 2021, les ministres chargés de l’Environnement des pays méditerranéens, afin de définir une approche générale en matière de traitement et de mise en œuvre de ces recommandations et les politiques à suivre dans ce domaine.
La plupart de nos pays sont conscients de l’importance de ce dossier, les énergies nouvelles et renouvelables occupent une place de plus en plus importante dans leurs programmes et politiques.
A cet égard, les sources d’énergie non polluante sont en augmentation dans le cadre du mix énergétique. Ainsi, des mégaprojets d’énergie solaire ont été créés au Maroc et en Egypte, outre l’utilisation de plus en plus du gaz naturel, qui demeure une source d’énergie moins polluante que les autres.
L’industrie des voitures électriques est également devenue une priorité pour un certain nombre des pays de la région.
Il est donc possible d’œuvrer pour davantage d’intégration dans les industries liées à la durabilité.
Cela signifie aussi que l’investissement dans l’économie bleue ou l’économie verte est devenu non seulement moins coûteux qu’auparavant, mais davantage rentable et efficient.
Le troisième axe sur lequel nous travaillons est l’attraction des investissements privés dans ce domaine, d’autant que les investissements publics sont incapables à eux seuls à relever ce défi ou à supporter une telle charge.
En effet, nous avons remarqué un engouement de la part des marchés financiers, des fonds d’investissement internationaux et des grands fonds de pension aux Etats-Unis d’Amérique et en Europe pour de tels projets.
Ces fonds orientent même une partie de leurs investissements vers des activités de l’économie bleue et de l’économie verte pour contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (SER) et de la pollution ou contribuer à la préservation de la biodiversité.
Comment faites-vous pour tirer profit de cette tendance ?
Nous essayons de contribuer à cette tendance à deux niveaux. Tout d’abord, à un niveau incitatif, nous présentons à ces fonds les projets et les opportunités d’investissement disponibles dans les pays de la régions. Nous travaillons, également, en coopération avec une initiative menée par l’organisation américaine R20 (Regions for climate action) et le Fonds vert pour le climat pour créer le premier fonds d’investissement dans des projets environnementaux dans la région arabe et dans le sud de la Méditerranée.
Deuxièmement: nous soutenons et encourageons les pays en besoin de financements à émettre des obligations vertes au lieu d’aller emprunter sur les marchés financiers mondiaux à des taux d’intérêt élevés. Ces financements serviront à la réalisation des projets non polluants.
Nous œuvrerons en outre, lors de la prochaine réunion des ministres chargés de l’Environnement dans les pays méditerranéens, à l’adoption d’une vision globale et coordonnée entre les pays concernant le traitement de la crise environnementale que connaît la région méditerranéenne et les mesures qui seront prises dans les années à venir pour l’endiguer.
L’UpM célèbre le 25e anniversaire du lancement du processus de Barcelone en 1995. Comment évaluez-vous ce processus? A-t-il contribué à faire de la Méditerranée un bassin de paix et de prospérité conformément au souhait des pays de la région ?
L’UpM constitue non seulement un des outputs de ce processus, mais offre un cadre institutionnel à ce projet qui a démarré avec le processus d’Oslo et la promesse de trouver une solution au conflit israélo-arabe.
En tant qu’organisation régionale chargée de l’appui de la coopération dans la région, nous avons pu aboutir à une vision régionale commune et harmonieuse au sujet de plusieurs dossiers, dont celui des changements climatiques, qui progresse bien.
Nous avons également pu aboutir à un consensus et des progrès au sujet des dossiers de l’autonomisation des femmes, de l’éducation et du commerce.
A ce propos, une réunion des ministres du Commerce des pays de la région est prévue dans un mois, en vue d’adopter des règles d’origine communes pour la région méditerranéenne…
Mais, je pense qu’après la crise de Covid-19, un nouvel ordre régional se mettra en place de manière à favoriser encore l’intégration économique régionale, et ce après avoir vécu toute une décennie sous l’influence “de la théorie selon laquelle l’Asie est l’usine du monde”. Cette vision ne disparaîtra pas totalement, la mondialisation sera toujours en vogue mais elle sera limitée.
Je dois dire aussi que j’ai observé un regain d’intérêt pour ce processus et cadre institutionnel méditerranéen de la part des pays du nord de la rive (France et Allemagne), ainsi que de la part des pays du sud malgré leurs différents (Tunisie, Algérie, Egypte), lesquels estiment qu’il s’agit d’un cadre important pour deux raisons.
D’abord ce cadre traite surtout des questions consensuelles en accord avec les pays membres. Ensuite, l’UpM s’attaque aux causes réelles des conflits régionaux, y compris les problèmes économiques et l’absence de justice dans la répartition des richesses. Nous œuvrons à résoudre ces problèmes et nos efforts finiront par payer d’une façon ou d’une autre.