Depuis l’assassinat, le 20 octobre 2011, de son dirigeant, Mouammar Khadafi, la Libye est en proie à une guerre civile par procuration entre « chiens de guerre » étrangers et ingérences de puissances extérieures nourrissant des objectifs à la fois idéologiques et géoéconomiques en Méditerranée.

Enormes, les enjeux devraient préoccuper les autorités tunisiennes dans la mesure où la Tunisie a des frontières longues de plus de 459 Km avec la Libye, un littoral de 1 300 Km et un plateau continental de 80 000 Km2, soit la moitié de la superficie du territoire national (163 610 Km2). 

Sur le terrain, des milices composées de mercenaires étrangers (islamistes djihadistes, tchadiens, soudanais, ukrainiens, russes…) s’entretuent pour le compte des deux belligérants libyens, le Maréchal Haftar (à la tête de l’Armée nationale libyenne – ANL) à l’est, et le chef du Gouvernement d’union nationale (GUN), Fayez al-Sarraj, à l’ouest.

Au départ, un conflit idéologique-religieux

Au commencement, ce conflit avait des relents purement idéologiques-religieux en ce sens où il mettait face à face les partisans de l’Islam politique -qui se réclament de la mouvance islamique internationale…- et les opposants laïcs à cette secte -soutenus par les anti-frères musulmans, à savoir l’Egypte les Emirats arabes unis (EAU), l’Arabie Saoudite et la Russie.

Théoriquement, ce conflit devait se terminer par une victoire du maréchal Haftar. Ce dernier, après avoir nettoyé Benghazi et Derna, les plus grandes villes de la plus vaste province du pays, la Cyranéique et après avoir conquis, durant les mois de janvier et de février 2019, la ville de Sebha, capitale de la deuxième province du pays Fezzan (sud-ouest) et pris le contrôle de deux gisements de pétrole autour de cette grande ville et des postes frontaliers avec les pays voisins du sud (Soudan, Tchad et Niger), devait lancer son projet de reconquête du nord-ouest du pays, c’est-à-dire la province de la Tripolitaine.

Cette conquête des trois quarts du pays a poussé les dirigeants du GUN à tisser une alliance militaire avec la Turquie. Depuis, le rapport de forces a changé au point de pousser les troupes de Haftar à reculer et à desserrer l’étau sur la Tripolitaine. Point d’orgue des défaites de Haftar, la conquête par les milices de Tripoli, épaulées par des drones turcs, de la base aérienne d’Al-Wattia, la plus grande base de la région de l’ouest s’étendant de l’ouest de la capitale Tripoli jusqu’à la frontière tunisienne tombée il y a plus de six ans sous le contrôle des milices de Haftar.

Là aussi, les milices de Tripoli appuyées par la logistique militaire turque (drones…) auraient pu continuer leurs avancées et reconquérir de nouveaux territoires. Elles n’ont pas pu le faire en raison de la menace dissuasive des pays étrangers qui soutiennent Haftar de sortir le grand jeu.

En témoigne le bombardement, le 5 juillet 2020, par des avions non identifiés (des Rafales des EAU selon certaines sources) de la base Al-Wattia mise à la disposition des Turcs.

Depuis, c’est le statuquo de part et d’autre.

La Tunisie est intéressée par une solution du problème idéologique et religieux en Libye dans la mesure où elle est elle-même confrontée depuis le soulèvement du 14 janvier 2011 à l’Islam politique. 

Dimension géostratégique du conflit

Ce conflit a aussi une dimension géostratégique et géoéconomique. Les deux principales puissances qui soutiennent les principaux belligérants libyens (ANL + GUN), en l’occurrence la Russie et la Turquie, laissent entendre à travers leur fort engagement en Libye qu’elles poursuivent des objectifs stratégiques, et ce en l’absence quasi-totale de l’OTAN qui a pourtant déstabilisé la Libye en 2011.

La Russie œuvre à renforcer son positionnement au sud de la Méditerranée en faisant de la Libye « un point d’arrimage » pour étendre son influence en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. L’obtention d’une éventuelle base aérienne en Libye, à l’instar de la base navale russe de Tartous en Syrie, lui permettrait de renforcer sa présence dans le bassin méditerranéen.

C’est ce qui explique l’inquiétude du Pentagone quand il a évoqué une sérieuse menace russe dans la région, et ce lors de la récente tournée maghrébine (septembre et d’octobre 2020) du chef du commandement de l’Africom, le général Stephen Townsend, et le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper.

Pour la partie turque, sa présence en Libye s’explique, entre autres, par des intérêts géoéconomiques. La Turquie, qui importe plus de 80% de ses besoins en énergie, est intéressée non seulement par les réserves colossales d’hydrocarbures dont recèle la Libye mais également les dernières découvertes dans les zones maritimes à l’Est de la Méditerranée de gaz naturel offshore en quantités très importantes et au coût très compétitif.

Cette dimension géoéconomique est devenue une réalité. Pour preuve, les hostilités entre la Turquie, d’un côté, la Grèce l’Egypte, de l’autre.

La Tunisie doit valoriser son plateau continental

La Tunisie, qui se donne jusqu’ici en spectacle tout ce remue ménage à son flanc Est, ne semble pas se démener aux fins de redynamiser ses échanges commerciaux avec la Libye et surtout de valoriser son plateau continental qui couvre une superficie de de l’ordre de 80 000 Km2.

L’article 77 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) accorde à l’Etat côtier « des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles ».

Les ressources naturelles visées par ladite convention « comprennent les ressources minérales et autres ressources non biologiques des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi que les organismes vivants qui appartiennent aux espèces sédentaires, c’est-à-dire les organismes qui, au stade où ils peuvent être pêchés, sont soit immobiles sur le fond ou au-dessous du fond, soit incapables de se déplacer autrement qu’en restant constamment en contact avec le fond ou le sous-sol ».

Cela pour dire qu’au regard des enjeux que présentent ces nouvelles ressources gazières à l’Est de la Méditerranée, la Tunisie, qui a fait jusqu’à ce jour le dos à la mer, est appelée à rattraper, au plus vite, le temps perdu et à valoriser ses eaux territoriales, sa zone économique et son plateau continental.

A cette fin, la création d’un ministère dédié exclusivement à la gestion et à l’exploitation des ressources maritimes serait la bienvenue.

Abou SARRA

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