El Kamour et le dilemme des jeunes chômeurs -pas tous diplômés- et qui veulent avoir des emplois n’a cessé de défrayer la chronique ces dernières années. Dans les sociétés de jardinage créées par des gouvernements lâches et financées par le conseil régional, les prétendus employés sont payés entre 600 dinars et 900 dinars. Des travailleurs dont une grande partie est payée à ne rien faire et qui plus est, par une entreprise publique en difficultés : l’ETAP. Les sociétés d’environnement et de jardinage ont coûté à l’Etat tunisien, depuis près de 3 ans, environ 50 millions de dinars. Le malheur est qu’on ne voit pas la verdure habiller la nudité des terres de Tataouine.
Rares sont ceux qui sont dans le respect du principe : tout salaire doit payer un labeur ! Autrement dit, nous contribuables payons ces chômeurs de notre sueur pour qu’ils ne plantent aucun arbre. Mais pire, pour que des groupuscules s’adonnent au terrorisme économique en fermant les vannes de pétrole dont les pertes ne peuvent être comptabilisées sur le moment mais s’étalent sur des années.
Pour les experts, le redémarrage après fermeture d’un puits de pétrole est toujours coûteux car il est souvent impossible de retrouver le débit d’origine. Avis aux militants d’El Kamour qui prennent le pays en otage parce qu’ils estiment être maîtres du pétrole : loin de préserver la ressource, la fermeture des puits accélèrent la déplétion pétrolière. Ils devraient donc chercher un autre moyen pour racketter l’Etat et se désister de leurs responsabilités dans le développement de la région.
Et comme nous n’arrêtons pas de l’écrire et de le répéter, nous pouvons calquer l’exemple El Kamour sur nombre de régions « défavorisées » de la Tunisie.
Abdelaziz Halleb, general manager à Omni Tech, ancien président de la FEDELEC à l’UTICA, explique : «Le développement, c’est d’abord une prise en charge par l’élite de chaque région. Quand vous avez 50 entreprises qui ferment dans le même gouvernorat sous l’action de l’UGTT régionale et l’UTICA régionale pour le motif que les promoteurs ne sont pas des enfants du pays (gouvernorat de Kasserine), à quoi devons-nous nous attendre ? Entre temps, les enfants du pays investissent dans les salons de thé au Lac 2 ».
A Tataouine, ceux qui suivent des études brillantes partent et ceux qui ont les moyens d’investir grâce à la vanne de la contrebande achètent des cafés et des immeubles dans les cités résidentielles à Tunis, la capitale.
La Ceinture de Tunis, elle, est surpeuplée, compte des dizaines de milliers de chômeurs et souffre d’une grande pauvreté et délinquance, mais tant qu’on n’y ferme pas les vannes du pétrole ou on ne bloque pas la production du phosphate, personne n’y prête attention. On laisse des centaines de milliers de Tunisiens appauvris à la merci des marchandages des partis et des ONG payées par des fonds occultes. Normal, l’Etat a cédé son rôle social aux destructeurs de l’Etat.
Dans les régions où les activistes ne peuvent pas fermer des vannes ou des sites de production, les enfants se suicident en silence sans susciter l’indignation des médias ou des autorités publiques. Les derniers en date sont une jeune adolescente de 14 ans à Kairouan et un jeune à la fleur de l’âge à Jendouba.
Le pire est que 10 ans après la fameuse « révolution », les problèmes des régions n’ont pas été résolus, ils se sont plutôt envenimés.
Dans l’état actuel des choses, l’administration publique est totalement désarticulée
Quand est-ce que l’Etat tunisien prendra les mesures nécessaires pour mettre fin aux dérapages dans les régions et œuvrer à leur développement réel ?
Fathi Ennaifer, polytechnicien, répond à cette question : « Si nous voulons parler de stratégie de développement dans les régions, il ne faut jamais commencer par parler de mesures financières, institutionnelles ou fiscales. Ce sont des mesures d’accompagnement parce qu’elles ne peuvent composer les stratégies, mais seulement aider à les mettre en œuvre. Je dirais même que décider de créer un ministère de Développement régional, sans établir un diagnostic (qui existe soi-dit en passant) s’apparente à une démission et constitue une source de dépenses supplémentaires sans aucune valeur ajoutée. D’ailleurs, toutes les structures créées depuis cinquante ans (plusieurs commissariats de développement de régions notamment) n’ont rien apporté de probant car elles font du saupoudrage et leur intervention ne se situe pas au niveau des stratégies. Ils œuvrent en dehors des stratégies d’aménagement du territoire dont c’est l’objet fondamental ».
Pour Fathi Ennaifer, l’un des éléments essentiels occultés dans toutes les approches pour le développement des régions est l’armature urbaine qui doit être vulgarisée par un réseau minimal de villes et villages où il faut mener les actions structurantes qui leur donneraient la capacité de rayonner sur l’économie régionale et créer les conditions favorables aux l’investisseurs privés. « Aujourd’hui, chaque ministère est un gouvernement à part avec ses propres limites et sa vision sectorielle qui ne convergent pas avec les stratégies préconisées (et de façon consensuelle avec les départements)… La réalité est autre : la Tunisie a créé des agences foncières qui sont des lotisseurs publics relevant de différents départements, et qui réalisent des opérations d’aménagement urbain, donc le développent de l’armature urbaine est en décalage total avec les stratégies préconisées. Comment voulez-vous que les disparités régionales s’estompent ? Comment pouvons-nous espérer que les conditions d’attractivité puissent s’améliorer pour ces régions en faveur desquelles nos ingénieux politiciens et rédacteurs de la “meilleure Constitution du monde“ ont institué le statut de ségrégation positive ? ».
Conséquence de cette approche, explique M. Ennaifer : les régions classées déshéritées où la pauvreté ne cesse de s’accentuer, impliquant le développement de l’économie informelle et d’un trafic frontalier incontournable, et les régions littorales avec des villes entourées de ceintures rouges explosives ! Les décisions prises par les gouvernements depuis l’indépendance ont toujours été à contrecourant des propositions faites par les hommes de terrain (de façon consensuelle entre les différents départements).
Dans l’état actuel des choses, il n’y a plus aucune initiative rationnelle, l’administration publique est totalement désarticulée, vidée de cadres compétents, bourrée de juristes qui ne savent que dire « qu’il faut changer les lois » sans rien connaître du terrain.
Un terrain de plus en plus miné puisque, outre les sentiments d’exclusion hérités de décennies de politiques régionalistes, l’absence de la valeur travail et l’amplification de la culture victimiste par les politiques. Des politiques qui infantilisent à dessein les régions, les déresponsabilisant et leur déniant un rôle probant dans le développement socioéconomique de leurs zones pour profiter de leur malheur.
Les lobbys politiques et « affairistes » dans les régions en question qui financent et génèrent les crises pour servir leurs propres intérêts, manipulant les jeunes, payant les fomenteurs de troubles.
A quand un gouvernement qui ne soucie pas des échéances électorales et qui prend les bonnes décisions ? Les décisions qui fâchent dans l’intérêt des régions et du pays ?
A quand un Schroeder Tunisien ?
Amel Belhadj Ali