Alors que nombre de députés s’indignent du volume des prêts que devrait contracter la Tunisie pour boucler son budget 2021 et qui avoisinerait les 40 milliards de dinars, au ministère des Finances, on se demande si la sorcellerie ne serait pas le dernier recours de la Tunisie, confrontée qu’elle est à une faillite certaine. Pendant ce temps, les revendications poursuivent leur pente ascendante et les Tunisiens ne consentent aucun sacrifice.
La Banque centrale de Tunisie est aujourd’hui considérée comme le dernier recours d’un Etat en détresse. Demander l’aide de la BCT n’est plus un choix, mais une nécessité, affirme un haut fonctionnaire du ministère des Finances, de l’Economie et de l’Appui à l’investissement, et ce au vu de la situation catastrophique des finances publiques. « Nous subissons beaucoup de contraintes dont la baisse des ressources à cause de la Covid-19 (près de 6 milliards de dinars). Nous ne pouvons plus dissimuler les véritables chiffres à propos de nos finances. Nous l’avons fait auparavant juste pour camoufler le déficit budgétaire, mais ça n’est plus possible. Tout le monde doit connaître leur véritable situation».
En fait, ces dernières années, on est devenu les champions du maquillage des chiffres pour faire bonne figure devant les instances financières internationales. On a procédé à des annonces régulières du déficit budgétaire. Des baisses de 4 ou 3,5%. La réalité était que la Tunisie était à 8% ou 9% de déficit budgétaire, mais ce déficit était transféré ailleurs dans les entreprises publiques telles la STIR ou l’Office des céréales.
« La faute n’incombe pas au ministère des Finances. Les gouvernements successifs sont responsables parce qu’ils n’ont pas exécuté les décisions prises. A titre d’exemple, la correction des prix, la révision de la compensation et le ciblage des populations qui doivent en profiter, ou encore l’application d’un mécanisme d’ajustement automatique des prix du carburant ».
La lâcheté des gouvernements précédents qui faisaient du populisme et sacrifiaient les fondamentaux économiques à leurs ambitions politiques se soumettant aux impératifs des échéances électorales (sic) a eu pour conséquence une ardoise de milliards de dinars en moins dans le budget de l’Etat. Les décideurs politiques ont appliqué à la lettre le fameux dicton tunisien « chachiet hedha fouk Ras Hedha » (On enlève le couvre-chef de l’un pour couvrir la tête de l’autre ou sa calvitie). Et comme les chiffres faussés résistent mal aux épreuves du temps et à l’impératif d’une nécessaire exactitude, ceux que l’on voit aujourd’hui apparaître sur le tableau de bord du ministère des Finances ne sont pas rassurants. C’est ce qui inquiète d’ailleurs certains députés de la Commission des finances à l’ARP.
«Pour le moment, ce qui est prévu, c’est de faire tourner un chèque qui puisse compenser les pertes dans des entreprises publiques importantes comme la STEG, la SNDP, l’Office des céréales, Tunisair, Tunisie Autoroutes, et ce indépendamment de tout programme nécessaire de réforme des entreprises publiques. L’endettement de Tunisair auprès de l’OACA avoisine le 1 million de dinars, sans parler de ses impayés bancaires, des autres fournisseurs et des dettes sociales et fiscales. Maintenant nous prendrons en charge -jusqu’au 31/12/2020- les emprunts garantis par l’Etat accordés sous forme de prêts du trésor qui peuvent être transféré en actions dans le capital».
Et c’est pareil pour Tunisie Autoroutes qui a besoin, pour être sauvée, d’une augmentation des prix des péages et de l’activation du processus d’exploitation des autoroutes opérationnelles aujourd’hui. Des autoroutes qui peuvent rester sans que l’on s’acquitte des péages sur des années.
En Tunisie, il faut un décret gouvernemental pour lancer le processus de péage alors qu’il est plus que logique qu’au bout de 3 ou 4 mois d’essai, le péage devienne automatique. « Les prix des péages dans notre pays sont ridicules quand on voit les gains, du point de vue carburant pour les conducteurs. Et pourquoi programmer des autoroutes dans des régions qui n’en ont pas réellement besoin ».
Un gouvernement qui dépense un argent dont il ne dispose pas
En fait, le gouvernement est en train de dépenser un argent dont il ne dispose pas. En témoignent les dernières augmentations salariales au profit des gouverneurs ou des enseignants et celles qui suivront pour respecter, comme n’a cessé de l’affirmer le CDG, les engagements l’Etat! Oui mais à quel prix ? Au prix de la destruction de l’Etat lui-même ?
« Prenons l’exemple des augmentations des salaires des gouverneurs. Le problème n’est pas autant l’augmentation en elle-même au profit de ceux en activité que celles dont les retraités ont le droit d’en bénéficier, c’est la fameuse péréquation. La CNRPS doit assumer la charge et le coût de ces augmentations. En tant qu’Etat, nous allons devoir renforcer leur budget à travers la compensation. La CNRPS doit à l’Etat près de 320 millions de dinars, et à son tour, l’Etat lui doit près de 800 millions de dinars d’impayés… Comment sortir de ce cercle vicieux si à chaque fois on prend des mesures sans penser aux conséquences ? ».
Comment faire face à une situation aussi complexe gérée par des décideurs aussi frileux ? Céder des entreprises publiques, encourager les partenariats public-privé en invitant le secteur privé à participer au redressement des entreprises publiques en difficultés, contracter des prêts encore et encore ?
Il n’est pas sûr qu’un gouvernement qui ait choisi le chemin le plus simple et le plus dangereux cédant aux exigences et aux revendications d’un partenaire social difficile à satisfaire puisse sauver le pays et rétablir les équilibres financiers de l’Etat.
Le budget de l’Etat pour l’année 2021 doit pouvoir trouver les ressources pour une masse salariale qui frôle les 21 milliards de dinars et honorer les délais de remboursement de la dette publique. S’endetter de nouveau est suicidaire même si, à voir les besoins de financement, c’est nécessaire.
«La Tunisie est loin des 40% de taux d’endettement, nous sommes presque à 100%. Certains gouvernements ont fait des anticipations sur la croissance qui se sont avérées fausses dont des taux de croissance de 7% ou 120 000 emplois créés. Du coup nous disposons de peu de ressources».
Tôt ou tard, la Tunisie sera acculée à prendre des décisions douloureuses. Pour l’instant on demande à la BCT d’intervenir. Peut-être qu’elle ne pourra plus rejeter les demandes venant de toutes parts pour l’achat des dettes de l’Etat, ce qui a été fait dans d’autres pays. Dans l’attente, seules des coupes dans les dépenses publiques peuvent aider au maintien des équilibres financiers de l’Etat et une rationalisation indispensable des recrutements dans le secteur public.
Le titre II n’existe presque plus, ses fonds étant consacrés au paiement des salaires. On a recruté des médecins dont les émoluments ont été assurés par le titre II. Les gouvernements précédents se sont adonnés à des aberrations à l’infini dans la gestion des finances publiques, juste pour faire plaisir à l’UGTT ou à des parties politiques influentes.
Le gouvernement Mechichi ne pourra s’en sortir sans oser prendre les décisions qui fâchent ; les compromis qui mènent à la ruine du pays et qui ne font que reculer les échéances ne serviront pas à maintenir ce gouvernement, par contre, ils mèneront rapidement à la ruine du pays.
Amel Belhadj Ali