Le titre n’est pas sans rappeler le film dans lequel Brel incarnait superbement le personnage d’un instituteur dans un petit village de Normandie, accusé injustement par une de ses élèves, mineure, de l’avoir violée. L’instituteur a été blanchi à la fin du film, mais le professeur d’histoire et géographie de Conflans-Sainte-Honorine n’a pas eu cette chance, pour avoir connu un bien triste sort, lui aussi confronté aux risques de son métier, qui lui ont été fatals : il a été décapité en pleine rue.
Par Lotfi Farhane, Pr des Universités
Rien ne peut justifier un tel acte de pure barbarie et sa condamnation se doit d’être catégorique par toutes les personnes éprises de liberté. Cependant, il y a le déclaratif et le comportemental, et on se demande si cela ne devient par trop poncif de dire qu’on est contre le terrorisme, presque tout le monde l’est, cela va de soi, même la confrérie le déclare, mais dans les actes …
Un crime crapuleux dans le pur rite daeschien, qui a fait couler beaucoup d’encre, et de ce fait, je n’ai pas l’intention de ressasser des arguments, des diatribes ou encore des griefs, mais vais me contenter de faire des parallèles, des projections et formuler des interrogations avec comme toile de fond et fil conducteur, la malhonnêteté et l’hypocrisie de certains.
Le terrain étant miné, il vaudrait mieux faire preuve de pondération, avancer prudemment et, l’emballement, les déclarations enflammées et la hardiesse manifestées par certains dans un camp comme dans l’autre ne sont que l’expression d’une ambivalence et un voile pour draper et cacher une perfidie et une lâche compromission. Quelle faute aurait commis ce professeur ? Une erreur pédagogique ? Était-il allé par inadvertance, à l’extrême dans le choix du support pour parler de la liberté d’expression ? Auquel cas, le principal du collège, l’inspection académique le lui auraient probablement reproché. Pourquoi personne ne s’est sérieusement inquiété de l’effervescence dans la toile autour de lui, des appels à la vindicte par des radicaux islamistes ?
Pourquoi sa hiérarchie l’a-t-il abandonné ? Pourquoi les services de police, les RG, eux qui ont l’œil sur tout, ne l’ont-ils pas averti du danger qu’il court et ne l’ont-ils pas suffisamment protégé? N’ont-ils pas fermé l’œil et laissé pourrir la situation ?
Son assassinat ne profite-t-il pas à ceux qui théorisent autour du principe d’ajouter au séparatisme territorial classique, une nouvelle idée de séparatisme des croyances ? Ou, n’apporte-t-il pas de l’eau au moulin de l’extrême droite qui développe un concept indéterminé d’islamo-gauchiste et appelle aux expulsions massives d’immigrés ? Ou encore, n’offre-t-il pas à ces chroniqueurs véreux de quoi carburer pour au moins une année ?
Un profond chagrin me submerge en imaginant le plus grand désarroi dans lequel il s’est retrouvé, désemparé et terriblement seul les jours qui ont précédé sa mort, telle une bête blessée et apeurée, traquée par une meute d’hyènes. Ce qui fait prendre conscience encore plus de la brièveté et de la fragilité de la vie humaine. Le genre de solitude qu’a connue auparavant le Commandant Massoud, qui demandait désespérément à l’Occident de l’aide et du soutien matériel pour poursuivre son combat contre les talibans. Qui l’avait alors entendu et qui a répondu à ses appels ? Il a été assassiné, les talibans ont pris le pouvoir dans son pays et tous les traitements militaires pour les en déloger ayant échoué, et après tant de gâchis, d’énormes pertes humaines et matérielles, les Occidentaux tentent de négocier une trêve avec eux …
La ghettoïsation et la marginalisation ne peuvent pas tout expliquer
Ils ont assassiné le professeur, et à travers lui, ils se sont pris encore une fois à l’école républicaine, celle-là même qui propose un savoir et une pensée universelle, prépare les citoyens de demain, qui empêche tous ces isla-calamiteux d’inoculer leur poison et s’érige en digue contre leurs projets de formatage d’esprits, donc devient ipso facto leur pire ennemi.
En outre, adopter une attitude compassionnelle envers cette jeunesse en quête d’une identité et d’un sens qu’elle ne trouve pas dans la République et qui se cantonne dans une posture victimaire confortable ne résout pas le problème.
La ghettoïsation et la marginalisation ne peuvent pas tout expliquer. Un hommage solennel lui a été rendu avec tout le décorum et la mise en scène qui seyaient. Le président Macron a prononcé un vibrant discours appelant à la fin de la haine, de la violence, au respect de l’autre et à combattre le terrorisme islamiste. Comme à son habitude, il a sauté sur l’occasion pour faire des phrases, mais Samuel Paty n’avait pas besoin de belles phrases ni de décoration posthume. Il avait besoin d’être protégé et de vivre !
On ne peut pas condamner le terrorisme dans l’Hexagone et le soutenir en Syrie, en Irak ou en Libye
C’est épatant, que de bonnes intentions mais voilà, on ne peut pas condamner et combattre ce terrorisme dans l’Hexagone et en même temps le soutenir à l’étranger, en Syrie, en Irak ou en Libye, en l’alimentant en armes et munitions et en feignant d’ignorer les contingents de djihadistes français qui partent vers ces zones de tension. Une partie de ces combattants sont revenus en France, et il y a fort à parier qu’ils n’allumeront pas que des feux de joie dans les cités …
Macron a eu la fourberie de faire glisser les maux et malheurs de la société française, qui sont beaucoup plus profonds et dont la question de l’islamisation rampante n’est qu’un vague aspect vers le terrain de l’islamisme, et comme il est époustouflant de génie et s’y connaît en tout, il parle de la crise profonde que traverse l’islam, excusez du peu.
Alors, tout ce branle-bas n’est-il pas qu’une infâme manœuvre et une tentative de diversion des Français de leurs vrais problèmes ? Élargir plus la division entre riches et pauvres, désigner au besogneux « souchien » (Français de souche) dans une lugubre cité son ennemi, qui ne doit pas être celui qui l’exploite et qui fait tout pour le maintenir dans son état de chômeur ou de travailleur pauvre, mais son voisin de palier encore plus pauvre que lui mais de confession musulmane et portant une barbe, alors que lui aussi ne cherche lui qu’à travailler et vivre en paix.
Arrêtez de les stigmatiser ! D’ailleurs, Dieu sait combien sont nombreux ces musulmans tranquilles et ces imams modérés qui sont harcelés et terrorisés par ces fondamentalistes wahhabites.
Soyons clair, le problème ne se réduit pas uniquement à l’islam mais plutôt à la religion en général et à l’usage qu’on en fait.
En effet, voyez-vous une différence entre les enfants abusés dans l’école coranique de Regueb et ceux victimes des prêtres pédophiles dans les diocèses ? Aucune pour moi.
Le philosophe Ibn Rushd (Averroés), le pionnier de la pensée rationnelle dans les mondes arabe et musulman, qui a consacré sa vie au service de la science et de l’humanité, un des artisans du mouvement de prospérité scientifique et intellectuelle dans le monde islamique. Celui qui, en l’éclairant et en adoptant l’approche rationnelle établie par Aristote basée sur la logique et la preuve, a cherché à le libérer des ténèbres du fanatisme, de la calcification et des superstitions n’a cessé de montrer et souligner la relation étroite entre la sagesse rationnelle et la religion, telle que manifestée dans le Saint Coran.
Les penseurs musulmans extrémistes l’ont emporté sur ceux éclairés
Malheureusement, la nation islamique s’était divisée en deux directions opposées. La première, dirigée par les imams des quatre célèbres écoles islamiques, Abu Hanifa, Malik, Shafi’i et Ahmed bin Hanbal qui considéraient la logique et la philosophie d’Aristote comme une nouvelle hérésie et une méthode d’invasion culturelle étrangère occidentale de la nation islamique, contraire aux programmes et aux principes de la religion.
La seconde, suivie par une minorité dont Ibn Rushd, prônant une démarche rationnelle et tenant à préserver ce précieux héritage scientifique et philosophique, acquis à travers l’étude de la logique et de la philosophie aristotéliciennes. Ces penseurs de la minorité qui ont consacré beaucoup de temps et de travail à l’expliquer, à le réaliser et à le développer afin de construire, sur sa base, une lecture éclairée, rationnelle et réaliste qui révèle l’essence et la pureté de la religion musulmane.
Hélas, la première direction l’a emporté et Ibn Rushd, accusé d’infidélité et d’hérésie, s’était fait expulser avec ses étudiants dans le désert et beaucoup de ses livres furent brûlés. Le destin voulut que l’un de ses fidèles étudiants ait pu faire passer certains en contrebande par voie maritime pour les emmener à l’Université de Padoue en Italie, puis l’Université de Paris avant d’être transférés à l’Université d’Oxford en Angleterre, et enfin à l’Université de Cologne en Allemagne, pour être traduits en plusieurs langues …
Pour l’histoire, de la première direction a émergé plus tard Ahmad Ibn Taymiyyah, considéré à juste titre comme le père spirituel de la tendance religieuse salafiste dure, et après lui son élève, non moins rigide, Ibn al-Qayyim al-Jawziyyah, ceux-là mêmes qui sont les maîtres à penser des actuels islamistes. Dans le macabre registre des crimes des islamistes on peut aussi citer dans un passé plus récent, le penseur libanais Hussein Murouwa et l’écrivain égyptien Faraj Fouda, qui furent assassinés par des fanatiques religieux, simplement pour leurs écrits. Le drame de l’islam est que ses penseurs extrémistes l’ont emporté sur ceux éclairés !
Les catholiques, ceux-là mêmes qui se réclamaient de Jésus-Christ et de sa bonté, n’étaient pas en reste.
Les catholiques ont eu, eux, aussi leur inquisition !
Au XVe siècle, un instrument a été inventé par des prêtres catholiques pour fracturer les doigts et les mains de scientifiques, artistes peintres et sculpteurs accusés d’hérésie.
L’inquisition, initiée en 1231 par un pape catholique, Grégoire IX, qui prescrit la peine de mort à tous les hérétiques faisant au passage des dizaines de milliers de victimes. À Séville, les catholiques firent construire un four, le Quémadero, destiné à faire cuire quatre hérétiques à la fois. C’est dire qu’eux aussi n’y étaient pas allés de main morte.
On assiste à une surenchère inutile et à une escalade inquiétante de la violence, répondant à la vieille logique pavlovienne : une provocation entraîne automatiquement une réponse. D’un côté ceux qui voient dans ces dessins une atteinte à l’image sacrée du prophète Mohammed (sws) et se portent à son secours aux cris d’“Allah akbar“, et de l’autre ceux qui n’y voient aucun problème mais plutôt dans cette contestation un affaiblissement des bases de la démocratie et scandent : la liberté d’expression est akbar!
Dans ce contexte, beaucoup de questions se posent naturellement : peut-on faire de l’humour avec tout et sans le respect des autres ? Où se trouve la frontière entre l’humour et l’insulte ? L’humour est-il intrinsèque ou plutôt lié à la culture des gens, auquel cas, celui qui le pratique doit impérativement avoir une connaissance approfondie des cultures et des codes pour se garder de les bafouer.
Entre islam et judaïsme, une liberté d’expression, discriminatoire ?
Les réactions fusent de partout contre le discours du président français tenu à la Sorbonne et la Tunisie ne fait pas l’exception, de l’indignation, des appels à manifester et d’autres, ridicules, à boycotter les produits français. Le président K. Saied est sommé de réagir et je ne sais pas ce qu’on attend au juste de lui. Sommes-nous devenus à ce point vertueux et pieux ?
Je me demande pourquoi on n’a pas les mêmes réactions vis-à-vis des wahhabites, sachant que le fondateur de ce mouvement, Mohamed ben Abdelwahab, a tenu des propos, rapportés dans plusieurs écrits, des plus dédaigneux et des plus dégradants sur le prophète Mohammed (sws) ? Quand on sait que ces wahhabites sont derrière la majorité des maux que connaît le monde musulman. Puis, comme l’hypocrisie est équitablement partagée sur les deux bords, ce journal Charlie Hebdo, en réalité, est en perte de vitesse, aux finances plombées et ne devant sa survie qu’au tapage médiatique fait autour de lui et se considérant à la fois comme le symbole et la victime toute désignée de la liberté d’expression, devrait répondre à la question non innocente : peut-on ridiculiser le judaïsme ?
Je la pose car un de ses dessinateurs, Siné (Maurice Sinet), ayant fait un dessin montrant le fils Sarkozy, se convertissant au judaïsme, a été prié par la société éditrice du journal de s’excuser et devant son refus, il a été simplement licencié. Il a obtenu des dommages et intérêts suite à une condamnation du journal prononcée par le tribunal de grande instance de Paris. Elle est belle la liberté d’expression !
L’islamisme, cette perversion de l’islam est dangereuse. C’est comme le cancer, il faut un dépistage précoce pour le traiter efficacement et avoir des chances d’en guérir. Là, je crois que la France, obnubilée par l’acquisition de marchés de vente de technologies, d’armes et d’avions de combat, a perdu de sa lucidité et pris du retard pour mesurer son impact.
Il lui sera très difficile de le juguler sans courir le risque d’assister à l’embrasement du pays et même le déclenchement d’une guerre civile. Son manque de réactivité est flagrant. Qui n’a pas remarqué les déplacements de son ambassadeur en Tunisie, Poivre d’Arvor, à travers tout le pays ? Il l’a sillonné de long en large, visité tous les coins et recoins, il a même été vu dans le petit port de pêche de Sayada.
Naturellement, non sans envoyer des rapports au quai d’Orsay sur la situation du pays, et tout allait visiblement bien, puis soudain, entre la poire et le fromage, Macron déclare que la Tunisie, trente années avant, allait beaucoup mieux qu’aujourd’hui avec les islamistes, alors qu’on connaît les états de service de ces derniers depuis leur émergence en Egypte dans les années vingt du siècle dernier. Une telle déclaration, sidérante car tardive, relève pour moi soit de la malhonnêteté intellectuelle, soit de l’ignorance. Et je préfère lui accorder le bénéfice du doute et croire qu’il ignore tous les faits.