“Bien que les projets de loi des finances complémentaire 2020 et loi des finances 2021 reflètent clairement la volonté de réforme de la finance publique, ils dissimulent la nature des liens à tisser entre le gouvernement et les leaders de la finance dans le pays, lesquels se retranchent derrière la BCT d’une part, et les exigences de la situation locale et internationale d’autre part”. C’est ce qu’estime Mohsen Hassan dans un entretien accordé à l’Agence Tunis Afrique presse (TAP).
Selon lui l’ancien ministre du Commerce, l’objectif principal de ces deux projets de loi demeure la réforme de la finance publique et l’arrêt de l’hémorragie financière et non pas relancer l’économie ou booster la croissance, et ce nonobstant les objectifs décidés et les hypothèses signalées dans les deux projets de loi…
“Ce choix est sain, dit-il, car voter un budget avec un objectif de développement alors que la finance publique et les ressources budgétaires sont en crise n’aurait pas de sens, d’où l’importance d’accorder la priorité à l’arrêt de l’hémorragie des finances publiques. Ce choix est plus sûr. Il est le meilleur pour le pays “, indique-t-il.
Marge de manœuvre fiscale limitée
Autant la politique fiscale et gouvernementale ne bénéficie que d’une marge de manœuvre limitée, autant le système bancaire et la politique financière profitent d’une marge plus grande et sont à même de réaliser leurs objectifs.
L’expert économique se réfère dans son analyse aux indicateurs du projet de loi des finances complémentaire 2020, selon lequel le budget définitif de l’exercice 2020 atteindra 51,690 milliards de dinars, soit une hausse supplémentaire de 4,442 milliards de dinars par rapport au budget initial.
“A cet effet, la régression des recettes fiscales au cours de l’année 2020 de 5,6 milliards de dinars, pour atteindre 26,1 milliards de dinars, avec un déficit de 11 milliards de dinars, constitue un premier indicateur qui montre la faiblesse de la marge de manœuvre gouvernementale”, pense-t-il.
Les dépenses de gestion ont augmenté de 297 MDT, afin de rembourser les dues des fournisseurs, notamment la Pharmacie centrale de Tunisie.
Quant aux dépenses de subvention, elles sont passées de 4,18 milliards de dinars, prévues dans la loi des finances initiale de 2020, à 6,236 milliards de dinars, dans la loi des finances complémentaire 2020, en dépit de la régression des dépenses de subvention des hydrocarbures de près de 1,190 milliard de dinars.
Mohsen Hassan estime impossible de réduire toutes les dépenses, notamment celles liées à la subvention et à l’endettement, ce qui explique la marge de manœuvre limitée dont dispose ce gouvernement pour 2021. Mais “cette situation est dangereuse”, selon lui.
Une Charte entre le gouvernement et le système financier et bancaire
Dans ces conditions, Hassan souligne que le gouvernement ne peut pas présenter un budget de développement, de ce fait, le pays a besoin d’une charte entre le gouvernement et le système financier et bancaire tunisien, afin de tirer profit de la marge de manœuvre offerte par la politique monétaire.
Et de rappeler que “la Banque centrale de Tunisie (BCT) et son indépendance figurent parmi les acquis de la Tunisie. Cette institution a réussi à maîtriser l’inflation, à préserver la stabilité du marché des changes et à épargner à la Tunisie bien des chocs enregistrés auparavant au niveau du taux de change du dinar”.
Cependant, le rôle de l’Institut d’émission ne doit pas se limiter, aujourd’hui, à la lutte contre l’inflation et la garantie de la stabilité des prix. Elle doit plutôt apporter un appui au gouvernement dans ses efforts en matière de financement du déficit budgétaire et l’aider à la mise en place d’un plan clair de reprise économique.
Suite au coronavirus, la plupart des Banques centrales ont profité de la monétisation de la dette publique et ont contribué, à travers des politiques expansionnistes, au financement du trésor public, et à la relance de l’économie. C’est le cas de la Banque centrale européenne (BCE), de la Bank Al-Maghrib (au Maroc) et de la Banque centrale d’Egypte, ajoute-t-il.
Il invite donc la BCT à jouer ce rôle, étant donné qu’un financement contrôlé et légalisé du trésor public ne risque pas d’affecter outre mesure son indépendance, en tant qu’acquis de l’économie tunisienne. Il s’agit, selon lui, d’une nouvelle lecture du rôle de la BCT en période de crise, d’autant qu’actuellement les causes de l’inflation en Tunisie ne sont pas principalement monétaires.
Mécanismes de financement de Trésor public
La BCT et les banques tunisiennes assurent le financement du budget de l’Etat de l’exercice 2020, à travers deux mécanismes: l’émission de bons du trésor et le rachat de la dette de l’Etat.
Il affirme que l’Etat poursuivra le recours au marché financier tunisien par l’émission des bons du trésor, faisant remarquer que 16% du financement de l’économie assuré par les banques est destiné au financement l’Etat, ce qui constitue un chiffre élevé et impacte négativement le financement de l’investissement privé et le développement de l’entreprise.
Il estime nécessaire pour les banques de poursuivre leurs efforts en matière de financement du trésor public en investissant dans les bons du trésor. En contrepartie, l’Etat aidera à développer la liquidité bancaire, à travers le paiement des dettes dues aux entreprises publiques (environ 5 milliards de dinars) et privées (moins de 1 milliard de dinars), lesquels sont des ressources profitant au système bancaire.
Hassan explique que le deuxième mécanisme relatif au rachat de la dette de l’Etat (déjà pratiqué auparavant), sera utilisé d’une manière claire et transparente dans la loi de finances 2021. Il s’agit du rachat par la Banque centrale du stock des bons du trésor BTA en possession des banques, avant leur échéance, ce qui permet à la BCT de financer d’une manière indirecte le trésor de l’Etat.
La responsabilité de sauver l’économie
Une lourde responsabilité incombe au système financier et bancaire tunisien en 2021, selon Hassen. Ce système est appelé non seulement à combler le déficit de financement du budget, mais également à jouer un rôle de premier ordre dans le financement du programme du redressement de l’économie nationale, dit-il.
Il fait observer que l’opération de restructuration financière des entreprises sinistrées en raison de la crise Covid-19, est une responsabilité qui incombe au système financier et bancaire.
A cet égard, la BCT est appelée à mettre en place, en coordination avec le gouvernement, des lignes de financements assorti de taux d’intérêts subventionnés (3%, selon la loi en vigueur), destinées aux entreprises, afin de sauver le tissu économique.
La BCT est appelée à consacrer une partie des crédits aux activités prioritaires, à aider à appliquer à bon escient les décisions gouvernementales en faveur des entreprises sinistrées ainsi qu’à opter pour l’achat des dettes des entreprises publiques et privées, selon ses propos.
Le recours aux sukuks islamiques
L’expert évoque en outre la possibilité du recours aux sukuks islamiques en tant qu'”un bon mécanisme” de financement, d’autant que l’offre dans ce domaine dépasse largement la demande, notant que plus de 75% des émissions des sukuks islamiques proviennent des pays non-islamiques. Ainsi, il faut écarter toute considération idéologique ou religieuse et considérer ces sukuks comme étant un produit financier à exploiter “, affirme-t-il.
Pour Hassan, il est impératif de dynamiser la diplomatie économique afin que la Tunisie puisse sortir sur le marché international en s’assurant la garantie d’un pays “ami” car opter pour la sortie sur cette marché sans la garantie d’un autre pays coûterait très chère compte tenu de la faiblesse des indicateurs économiques et de la notation souveraine du pays.
Ainsi, le gouvernement de Mechichi utilise des outils financiers qui ne sont pas effectivement en sa possession, mais l’esprit patriotique pourrait contribuer à sortir la Tunisie de la crise financière difficile dans laquelle elle se trouve. Mais il faut d’abord savoir s’il existe suffisamment de confiance entre Mechichi et les argentiers du pays.