Nous n’arrêterons jamais de le dire, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Mais pas seulement. Pour le cas de la Tunisie, il faudrait ajouter des hommes d’exception.
«Les hommes et les femmes d’État se caractérisent par plusieurs traits : ne pas s’enrichir grâce à leur situation, assimiler des faits rapidement, s’adapter aux circonstances, s’élever au-dessus des événements et creuser leur propre tombe», disait Jean Sérisé. Il explique : «L’homme d’État prend sans y être contraint des décisions dont il sait qu’elles le conduiront à sa perte. Il leur est impossible de faire autre chose que ce qu’ils croient devoir faire».
Des hommes d’exception qui ne cèdent pas au diktat de la populace, des partenaires sociaux, des médias, de la rue et encore moins des pressions politiques. C’est ce qu’une grande partie des Tunisiens attendait de Hichem Mechichi, fraîchement nommé chef de gouvernement (CDG), lorsqu’il avait annoncé un “gouvernement de technocrates“ pour être libre de décider pour le bien du pays.
Ce même CDG qui a réduit le principe la continuité de l’Etat au respect de mauvais accords signés par ses prédécesseurs. Ceux-là mêmes qui ont mené la Tunisie vers la ruine. « Les années Youssef Chahed ont été catastrophiques pour notre pays, affirme Ezzeddine Saidane. Entre fin 2016 et fin 2019, la dette publique et la dette extérieure ont doublé. Les chiffres ont été faussés et les entreprises publiques ont été extrêmement fragilisées financièrement ».
Outre la pandémie Covid-19, la Tunisie doit aujourd’hui gérer l’insuffisance de ses ressources financières et son incapacité à sortir sur les marchés financiers internationaux au vu de ses notations catastrophiques et de la perte de confiance des bailleurs de fonds internationaux, le FMI entre autres, en sa réelle volonté d’engager les réformes qui s’imposent et à bien gérer ses finances.
Pendant ce temps, au lieu d’en appeler au patriotisme, à la solidarité et à la raison syndicats et contestataires « structurels », Hichem Mechichi cède sur tout et avec tous.
Le budget de l’Etat 2021 nous renvoie à l’Enfer de la comédie divine de Dante. Soit cet immense entonnoir divisé en neuf cercles où les supplices des damnés sont variés. Sauf que les damnés représentent le peuple tunisien et les cercles ses différents gouvernements commettant systématiquement des aberrations les uns, les autres et signant des accords qu’ils ne peuvent honorer.
Dernier accord en date du gouvernement Fakhfakh, celui signé par Nizar Yaïche, ancien ministre des Finances, poussé par le populiste Mohamed Abbou et son Mohamed El Hamdi, ministre de l’Education nationale sous haute influence des syndicats et impliquant une augmentation du budget du ministère de plus de 170 millions de dinars en 2021 ; une augmentation qui n’ira pas à la formation des enseignants, l’amélioration des infrastructures ou des équipements mais rejoindra la rubrique “salaires“.
Ajouté à cela les oui-oui inconditionnels de Hichem Mechichi et aux syndicats et aux séparatistes d’El Kamour alors que ses fonds de caisse sont vides.
La dernière signature avec l’UGTT vaut 2 milliards, sans parler des 30 000 personnes opérant dans le jardinage et l’environnement à titulariser. On aurait pu encourager des PME/PMI et même des TPE à se lancer dans ces activités, ce qui aurait sauvé l’emploi et les finances publiques. Mais…
Plus d’endettement face à l’incapacité de l’Etat de neutraliser la fièvre revendicatrice
A voir les échecs des gouvernements successifs dans la préservation des fondamentaux économiques du pays et la préservation de ses équilibres financiers, on ne peut que comprendre la posture de la Banque centrale qui vient d’indiquer qu’elle refuse de jouer le rôle de sapeur-pompier et couvrir les maladresses des politiques gouvernementales.
D’où son rejet du projet de LFC qui fait ressortir un déficit qui dépasse largement les répercussions de la crise sanitaire de la Covid-19, pour atteindre un niveau sans précédent estimé à 13,4% du PIB.
La BCT dénonce les déséquilibres profonds et structurels des finances publiques accumulés sur des années et prévient quant aux dangers du recours à l’endettement excessif intérieur, sur la stabilité macroéconomique. Elle souligne « l’éventuel effet d’éviction concernant le financement du secteur privé, outre le possible déséquilibre extérieur et la dégradation de la valeur du dinar ».
Secteur privé presqu’ignoré par Mechichi, comme en témoignent les dernières mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la propagation et l’impact du coronavirus et qui ne comprennent aucune mesure en faveur des entreprises. Seul engagement deux gouvernement : les dus des entreprises privées seront payées. Oui, mais dispose-t-il des montants nécessaires ? Et les entreprises publiques auxquelles l’Etat doit rembourser le manque à gagner à cause de la compensation ? Et les entreprises souffrant aujourd’hui des conséquences de la Covid-19 ?
La solution magique pour parer aux nouvelles dépenses de l’Etat ainsi que ses interventions de l’ordre de 2,833 milliards de dinars est d’augmenter le taux d’endettement. Ce à quoi la BCT a opposé une fin de non-recevoir. Un député, qui avait assisté à la séance de la Commission des finances à l’ARP, vendredi dernier, a déclaré que le gouverneur s’est dit prédisposé à apporter une aide de 3,5 milliards de dinars mais pas un millime de plus sous peine de porter atteintes aux équilibres monétaires du pays.
Un pays qui a plus que besoin de ses ressources et un Etat incapable de neutraliser la fièvre revendicatrice !
Quoi de plus irresponsable que d’approuver les mauvais accords contractés par des gouvernements plus soucieux de leur réélection que du pays ? « Rien ne pressait, dans une situation aussi dramatique, les accords auraient pu être reportés ou renégociés, l’UGTT peut comprendre », relève Ezzeddine Saïdane. Hichem Mechichi, lui, s’est empressé d’apposer sa signature sur des accords qui accroîtront la masse salariale de plus de 2 milliards de dinars. Une masse salariale qui sera portée de 17,2 milliards de dinars en 2020 à plus de 19,247 milliards de dinars en 2021.
Et au lieu de profiter du peu de richesses pétrolières dont nous disposons, le gouvernement envoie des délégations négocier avec des individus, qui l’en privent fermant les vannes, allant jusqu’à leur promettre des sous qu’il n’a pas.
Le président de la République, lui, au lieu d’assumer ses responsabilités dans l’apaisement du climat social dans notre pays, tape sur les créateurs de richesses et caresse les anarchistes dans le sens du poil se plaignant du peu de prérogatives dont il dispose.
A quand un véritable chef d’Etat pour la Tunisie et les Tunisiens?
Amel Belhadj Ali