La position prise par la BCT est judicieuse et salutaire. Le trend de vie de l’État doit impérativement être revu et mis en conformité avec les possibilités de l’économie tunisienne. C’est bien pour cela, d’ailleurs, que la loi de 2016 relative à l’indépendance de la Banque centrale a été votée.
Mais il faut aussi souligner que cette position vient très en retard. L’économie tunisienne est aujourd’hui dévastée. Une telle position de la BCT aurait dû intervenir depuis 2018, ou 2019 ou même début 2020. Il faut en effet rappeler les faits suivants:
1 – la dette publique avait doublé en trois ans, entre fin 2016 et fin 2019, et ce malgré le maquillage que subissaient les chiffres du déficit du budget et de la dette publique. La BCT aurait dû lever le carton jaune déjà en ce moment là. Pourquoi ne l’avait-elle pas fait?
2 – en 2018 le refinancement des banques par la BCT pointait à plus de 18 milliards de dinars, dont 60% ou 11 milliards de dinars étaient un refinancement de bons de trésor, et donc de dette en dinars de l’État. La BCT n’en refinance actuellement que 3,4 milliards de dinars. Le carton jaune de la BCT aurait donc dû être levé en 2018 ou 2019;
3 – à côté des emprunts massifs en dinars, l’État avait commencé depuis trois ans à emprunter en devises auprès des banques tunisiennes (sur des dépôts à vue de clients non résidents) jusqu’à dépasser l’équivalent de 6 milliards de dinars. La BCT a approuvé les 5 opérations d’emprunts et a assisté à toutes les cérémonies de signature. La BCT aurait dû lever son carton jaune à l’occasion de chacune de ces opérations d’emprunts en devises;
4 – le gouverneur de la BCT a co-signé avec le chef du gouvernement les lettres d’engagements adressées au FMI pour l’obtention du crédit de 2,9 milliards de dollars (dont 1,7 milliard de dollars seulement ont été débloqués) et l’obtention du crédit Covid-19 de 745 millions de dollars. Ces deux lettres comportaient des engagements clairement spécifiés que l’État tunisien n’a pas honoré. Le carton jaune de la BCT aurait dû être levé depuis ce temps là.
En outre si le gouvernement avait été invité à retirer son projet de loi de finance pour 2021, je pense que cela aurait eu un sens. Mais demander au gouvernement de retirer le projet de loi de finance complémentaire pour 2020 n’a franchement pas beaucoup de sens.
Voici pourquoi:
a – Il ne reste que deux mois de l’année 2020. Que peut faire le gouvernement en deux mois, rien ou presque. En effet le gouvernement ne peut ni mobiliser des fonds à l’étranger, ni réduire sensiblement aucun poste de dépenses publiques.
b – Il faut comprendre en outre l’origine des 11 milliards de dinars nécessaires pour que l’État boucle son budget de 2020. À cause des performances catastrophiques de l’économie tunisienne en 2020 (résultat de plusieurs facteurs dont les choix de politique monétaire) l’État subit une baisse de ses revenus fiscaux de l’ordre de 6,5 milliards de Dinars. En outre nous savons que les chiffres du déficit budgétaire et de la dette publique étaient maquillés entre 2017 et 2019.
En effet les engagements non honorés de l’État (vis-à-vis de ses fournisseurs locaux, des entreprises publiques, du trop perçu de TVA et autres) n’étaient pas décomptés. L’actuel gouvernement aurait voulu corriger cette situation en faisant la vérité des chiffres (au moins partiellement) et ce en décaissant l’équivalent de 4,5 milliards de dinars. D’où les 11 milliards de dinars.
Que peut donc faire le gouvernement qui a été invité à retirer son projet de loi de finance complémentaire pour 2020. Rien, ou presque. En effet l’État va tout simplement être forcé à maquiller de nouveau les chiffres en décaissant moins en faveur des entreprises publiques. Il faut noter à ce propos qu’il ne s’agit pas de subventions d’équilibre données aux entreprises publiques. Il s’agit de fonds de compensation déjà votés dans le cadre du budget et non payées aux entreprises publiques concernées (STIR, STEG, Office des céréales, ETAP par voie de conséquence, etc.). L’autre conséquence, parfaitement visible pour la BCT, est que ces mêmes entreprises publiques vont rester lourdement endettées auprès du système bancaire que la BCT a la responsabilité légale de superviser et de contrôler.
Est-ce que ce remue-ménage va servir à quelque chose de positif et de constructif. Ce n’est pas évident.
Est-ce que la BCT a bien choisi le moment pour prendre cette position ferme (bien nécessaire mais très tardive). Ce n’est pas évident non plus.
Ezzeddine Saidane