Dans la perspective de rapatrier les fonds spoliés et déposés à l’étranger, avant l’expiration des délais prévus pour fin décembre 2020, le président de la République, Kaïs Saïed, a choisi la voie diplomatique pour en récupérer, un tant soit peu. Pour preuve. Il a décidé, en vertu d’un arrêté présidentiel publié le 27 octobre 2020, dans le JORT, de nommer le ministre des Affaires étrangères à la tête d’une commission spéciale chargée de suivre la situation des biens spoliés et de dissuader toute récidive.
Abou SARRA
L’enjeu est de taille lorsqu’on sait que la Tunisie est menacée de voir les pays de l’Union européenne et un pays comme la Suisse lever, dans deux mois, le gel des fonds et de les perdre ainsi définitivement.
La règle dit ceci : si les fonds gelés ne sont pas récupérés, dans une période dix ans, leur gel sera levé, avec comme corollaire leur perte définitive.
Pourtant, au commencement, quand le chef de l’Etat a annoncé pour la première fois, mi-septembre 2020, la création de cette commission, en recevant la ministre des Domaines de l’Etat, Laila Jaffel, il avait donné l’impression qu’il optait pour la piste juridique.
La voie diplomatique serait la dernière chance
Interpellé sur ce sujet par les médias (télévision Attessaa, l’Economiste Maghrébin…), Ghazi Chaouachi, ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières dans le gouvernement Elyès Fakhfakh qui a beaucoup travaillé sur ce dossier sur le plan juridique, a estimé que compte tenu du fait que la diplomatie relève des attributions du chef de l’Etat, «il existe effectivement un rôle diplomatique qui peut être joué, aujourd’hui, pour récupérer les fonds spoliés».
Il avait évoqué une autre piste, celle des ONG (société civile) qui peuvent jouer un rôle en la matière avec leurs homologues dans les pays concernés, et ce en mettant la pression sur les gouvernants et Parlements, particulièrement dans les pays démocrates.
Abandon de la voie juridique
Comprendre par-là que, sur le plan juridique, au regard de l’approche de l’expiration des délais, il n’y a pratiquement rien à faire. Pour trois raison principales.
La première est un constat général. Dans tous les pays qui ont connu un changement similaire à la Tunisie, sur le total des fonds spoliés et expatriés (paradis fiscaux et autres) à l’étranger, seule une proportion de 1,7% a été récupérée en moyenne.
La deuxième a trait à la complexité des conditions exigées pour récupérer ces fonds. L’Union européenne, à titre indicatif, exige des jugements qui réunissent toutes les conditions de procès équitables et des jugements en présence des personnes impliquées. Elle refuse les jugements par contumace. «Mieux, elle demande des précisions sur la relation entre l’incrimination et les fonds spoliés», notait Ghazi Chaouachi.
Ce dernier a également révélé que « les pays concernés n’ont pas manifesté des dispositions pour coopérer avec la Tunisie, s’agissant de certains pays du Golfe et d’Amérique latine».
Il avait également fait allusion de la modicité des moyens logistiques, matériels et humains dont dispose la Direction générale du contentieux de l’Etat qui ne lui permettent pas d’entreprendre une quelconque action d’envergure.
La troisième réside dans le fait que le gouvernement tunisien n’aurait aucune idée exacte sur le montant global des fonds spoliés.
Globalement, avec la pression de l’expiration des échéances internationalement reconnues, les observateurs estiment que les institutions de l’Etat tunisien -Parlement, gouvernement (contentieux de l’Etat), présidence de la République- ont échoué dans le traitement de ce dossier de récupération des fonds spoliés.
Lors de son interview sur la chaîne de télévision Attessaa, Ghazi Chaouachi avait fait assumer une grande partie de cet échec à la diplomatie tunisienne au temps du défunt Béji Caïd Essebsi. Il a pointé du doigt la contreperformance en la matière « de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui ». Sans commentaire.
Au final, au regard du « laxisme » qui a prévalu, depuis 2011 et qui prévaut aujourd’hui encore dans le pays, mais aussi au regard des facteurs objectifs précités, nous avons le sentiment que cette commission présidentielle spéciale créée pour « récupérer les fonds volés et déposés à l’étranger » a peu de chances de réussir. A moins d’un miracle.
Son seul mérite réside (peut-être) dans une des missions qui lui sont imparties, en l’occurrence dissuader, dorénavant, ce pillage systématique des deniers publics et faire en sorte que cela ne se répète plus.