Tant que les dirigeants et les responsables de la Tunisie sont pratiquement et à 100% sélectionnés parmi les personnes sans expérience qui ont besoin de 2 à 3 ans pour commencer à comprendre comment la machine de l’Etat fonctionne, nous continuerons notre descente vers l’abîme. Et ce pour des raisons simples et évidentes.
Par Hakim Tounsi
D’un côté, les choses vont vite, très vite même, au point que ce qui est valable le matin ne l’est peut-être plus le soir. Ceci nécessite une réactivité de tous les instants que ne peuvent avoir que les personnes ayant de l’expérience et maitrisant bien leurs domaines.
Par ailleurs, et qu’on le veuille ou pas, la Tunisie, avec une économie à l’arrêt depuis 10 ans, une croissance à zéro ou presque, un service de la dette devenu insupportable aggravé par les problèmes imputables à la pandémie de la Covid-19 et ses incertitudes, ne pourra pas s’en sortir seule et sans recourir à nouveau encore et encore aux emprunts et aux aides extérieurs.
Ceci nous impose la nécessité d’avoir des dirigeants capables de présenter un projet sur le plan macroéconomique à long terme qui soit bancable au niveau de nos partenaires et géopolitiquement acceptable et cohérent. Un tel plan sur le long terme, à mon sens sur une trentaine d’années, capable d’engloutir en son sein et de prendre en charge la situation économique désastreuse actuelle, ne peut être fait que par des pointures de la planification, de l’économie et de la finance, capables de se rapprocher de compétences nationales dans tous les domaines, y compris celui du tourisme, pour bâtir un plan d’actions pour la Tunisie de demain.
Je suis totalement de l’avis de si Taoufik Baccar quand il dit qu’il faut revenir obligatoirement à une planification forte, voire exceptionnelle, pour sortir de cette crise. Une planification non pas pour revenir en arrière aux méthodes du passé et au dirigisme à la Gosplan, mais une planification de circonstance pour gérer une sortie de crise avec un retour progressif, dès que possible, au libéralisme économique et aux engagements internationaux de la Tunisie dans ce sens.
Des vrais experts en planification
Tout est question d’actualisation de flux à très long terme pour couvrir une situation de court terme incapable de générer de la valeur ajoutée. Il faut être capable d’imaginer le modèle économique susceptible de générer ces flux à long terme et laisser les experts en finance faire leur travail d’actualisation afin de trouver les équilibres et les ressources optimales pour mettre en place les investissements et les projets qui en découlent. Selon mon modeste point de vue, il nous faut des personnes qui remplissent bien leurs sièges, capables, loin des tiraillements et des pressions politiciennes, de s’asseoir face aux experts du FMI, de la Banque mondiale, de l’UE dans un premier temps pour convaincre de l’opportunité du projet, des investissements nécessaires, puis, avec les autres institutions monétaires (BAD, BEI…) pour parfaire les financements.
C’est un travail d’équipe qu’il faudrait avec au centre un macroéconomiste chef d’orchestre qui maîtrise bien la planification et les simulations de modèles économiques.
La France réactive son Commissariat général au plan
Pour faire face à la crise économique imposée par la pandémie de Covid-19, la France a réactivé son Commissariat général au plan créé en 1946 et disparu en 2006. Selon le décret instituant sa création, il sera chargé d’«animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels».
Cette réactivation en France du “Commissariat au Plan” a été jugée nécessaire par le président Macron, même si elle ne fait pas l’unanimité auprès de la classe politique qui y voit le retour anachronique d’une institution qui ferait doublon avec l’institution “France Stratégie” anciennement appelé “Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), rattaché au Premier ministère, qui est dans cet objectif d’assurer la lisibilité pour permettre l’anticipation pour la préparation de l’avenir.
En Tunisie, malgré la Révolution et la succession des crises, nous laissons les mécanismes libéraux habituels fonctionner souvent au prix d’incohérences et d’aberrations notoires. Nous importons des produits de consommation non nécessaires -“glibettes de Turquie”- à coup de devises empruntées malgré une balance commerciale largement déficitaire. Si Youssef Chahed, alors chef du gouvernement, avait même supprimé le ministère du Plan se privant de son rôle de coordination pour donner de la cohérence aux actions entreprises par ses services et permettre un reporting économique et financier stricte et rapide.
Actuellement nous sommes en Tunisie au niveau des chiffres, du reporting et des statistiques, avec des retards de tenue et de publication de plus en plus graves et qui vont vers des délais de trois années quand ils ne font pas totalement défaut. Autant vous dire qu’il n’y a aucune visibilité et qu’on avance à tâtons.