La réflexion sur le projet d’Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), dont les négociations sont suspendues, vient d’être enrichie par la publication d’un ouvrage universitaire intitulé « Négocier l’Aleca : quel intérêt pour la Tunisie ? ».
Le mérite de cet ouvrage réside dans l’effort déployé par les conférenciers pour dénoncer les limites de l’offre européenne et pour esquisser les grandes lignes ce que pourrait être l’offre tunisienne qui tarde à venir.
Selon le responsable de la publication, Haykel Ben Mahfoudh, directeur du Laboratoire de recherche en droit international et européen et relations Maghreb-Europe relevant de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, l’ouvrage « propose des pistes de réflexion pluridisciplinaire sur un sujet devenu aujourd’hui au cœur du débat sur les choix politiques, économiques et sécuritaires à venir de la société tunisienne ».
Publié avec le soutien de la Fondation allemande Hanns Seidel, l’ouvrage de 248 pages comporte les actes d’un colloque organisé les 23 et 24 novembre 2018 sur l’Aleca et auquel ont pris part des juristes spécialistes du droit européen, diplomates et économistes.
L’ouvrage est articulé autour de cinq volets : cadre et objet des négociations sur l’Aleca, l’approche globale des négociation (quelle feuille de route pour la Tunisie ?…), l’investissement, enjeu primordial des négociations, approfondissement des engagements de l’Association (la mobilité des personnes et l’Aleca…), les blocages conjoncturels et les défis à relever (règlements des différends en matière d’investissement dans l’Aleca…).
La libre circulation, talon d’Achille de l’offre européenne
Dans cet ouvrage, l’Aleca est présenté, du point de vue européen, comme un accord qui vise à approfondir et à compléter la zone de libre-échange pour les produits manufacturés mise en place il y a vingt ans, suite à la conclusion en 1995 de l’Accord d’Association. Il tend à intégrer étroitement l’économie tunisienne dans le marché unique de l’Union européenne sur la base d’un rapprochement progressif de la législation tunisienne avec l’acquis communautaire.
L’Aleca va ensuite permettre un meilleur accès mutuel pour les biens, les services et les investissements. « Il couvrira le climat des affaires, le commerce des services, des produits agricoles, des produits agricoles transformés et des produits halieutiques, l’énergie, la propriété intellectuelle, la politique de concurrence les instruments de défense commerciale, la transparence des réglementations et les marchés publics ».
Un intérêt particulier sera porté aux normes, à la protection de l’environnement et à la responsabilité sociale des entreprises.
L’offre européenne est épinglée pour son approche restrictive de l’accord qui privilégie la libéralisation des échanges dans les domaines précités et exclut la libre circulation de part et d’autre des acteurs devant concrétiser sur le terrain l’accord.
Dans sa communication, l’universitaire Wafa Chaouch Nouira relève que « la mobilité des personnes physiques, question centrale pour les prestataires de services tunisiens, est évoquée en termes de présence temporaire des personnes physiques à des fins professionnelles, de fourniture transfrontalière de services de visiteurs en déplacements d’affaires et de personnes faisant l’objet de transfert temporaire intragroupe… ».
Pour l’histoire, la Commission européenne qui négocie l’accord a constamment évacué cette question de libre circulation, prétextant que cette problématique relève des Etats membres, c’est-à-dire du Conseil de l’Europe.
Esquisse des contours d’une offre tunisienne
Quant à l’offre tunisienne, l’économiste Ridha Meddeb en a esquissé les grandes lignes. Cela pourrait concerner «la levée de toutes les barrières non tarifaires non justifiées techniquement et économiquement ; la libre circulation des professionnels et des étudiants ; l’accès au programme d’échanges Erasmus pour l’ensemble des étudiants tunisiens ; la lutte concertée contre le pillage organisé des compétences tunisiennes et à minima, une compensation financière juste pour couvrir les coûts du Brain Drain ; la mise à niveau du secteur agricole ; le bénéfice de programmes de jumelage pour la modernisation de l’administration et de sa réforme ; l’accès aux fonds structurels pour l’aménagement du territoire ; et la mutualisation des moyens en matière de protection civile et de sécurité extérieure».
Par-delà ces angles de lecture, les contributions des universitaires, diplomates et économistes à cet ouvrage constituent une œuvre de référence de qualité pour les juristes, décideurs politiques, acteurs institutionnels et les autres parties qui s’intéressent à l’Aleca. L’ouvrage mérite le détour.