Adhérant à l’appel du secrétaire général des Nations unies à l’élargissement de l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) aux pays à revenu intermédiaire qui en ont besoin, le professeur des universités, Mahmoud-Sami Nabi, suggère de mettre en place un mécanisme de financement dédié à ces pays et adapté à leur niveau de développement.
Cité par l’agence TAP, il rappelle que “l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD – pour Debt Service Suspension Initiative) a été lancée au mois d’avril 2020 par le Comité du développement (Banque mondiale & FMI) et les ministres des Finances du G20, afin d’aider les pays les plus pauvres à faire face aux impacts économiques désastreux de la pandémie de COVID-19. Il en résultait un moratoire ayant permis à 46 pays de bénéficier de reports de paiements s’élevant à hauteur de 5,3 milliards de dollars, et ce à l’échéance 2022-2024 “.
Le 13 novembre dernier, le G20 s’est accordé sur un cadre commun de restructuration de la dette des pays pauvres, impliquant également, les créanciers privés, de manière symétrique aux créanciers publics. Les soixante-treize pays éligibles (dont 38 sont situés en Afrique subsaharienne) qui souhaitent bénéficier d’une restructuration de leurs dettes, devront soumettre un programme macroéconomique garantissant sa soutenabilité. L’acceptation de la demande et le montant de l’enveloppe financière sont conditionnés par les résultats de l’Analyse de soutenabilité de la dette du FMI-BM, ainsi que ceux des créanciers officiels, a-t-il encore souligné.
Dette extérieure: l’échéance 2021?
Néanmoins, poursuit-il, les pays à revenu intermédiaires ne sont toujours pas concernés par cette initiative, et il n’y a pas actuellement un programme financier international destiné à les aider à rembourser leur dette extérieure échéant en 2021. Or, les marges de manœuvres gouvernementales de plusieurs d’entre eux sont extrêmement limitées en termes de ressources financières, pour pouvoir faire face aux impacts économiques et sanitaires de la crise provoquée par la pandémie de COVID-19. Contrairement aux pays développés, leur recours au financement non conventionnel par leurs banques centrales est également limité.
D’après une étude “Covid Debt and the Tax Paradigm” co-signée par l’économiste de développement Jayati Ghosh et l’économiste C.P Chandrasekhar, le déficit public moyen des pays émergents et à revenu intermédiaire (PERI) est passé de 4,9% du PIB, à 10,7% suite à la pandémie.
Tunisie: un déficit public de plus de 11%
En Tunisie, ce déficit est passé de 3%, à 11,5% (après ajustement de la loi de finances rectificative de 2020). Ceci est dû, en partie, à la baisse des recettes fiscales et non fiscales, respectivement de 5,652 milliards de dinars, et de 993 millions de dinars. Il en résulte pour les PERI une augmentation de la dette publique, dont la moyenne a augmenté d’environ 6,2 points de pourcentage du PIB.
En Tunisie, cette augmentation serait d’environ 15 points de pourcentage du PIB entre 2019 et 2020.
Mahmoud-Sami Nabi estime qu’”à l’instar de la plupart des PERI, le remboursement des intérêts et du principal de la dette extérieure échéant en 2021 engrange une partie importante du budget de 2021 de la Tunisie. Ainsi, le remboursement des intérêts et du principal de la dette s’élèvent respectivement, à 4,275 milliards de dinars et 11,501 milliards de dinars, dont la somme représente 30% des dépenses et 49% des recettes fiscales et non fiscales.
Quant aux dépenses d’investissement, elles sont budgétisées à un peu plus de 4 milliards de dinars, soit à peine environ 7,7% des dépenses totales. Le plus inquiétant est le recours programmé au marché financier international pour lever plus de 10 milliards de dinars sur les 16,608 milliards de dinars de financement extérieur. Or, il est bien connu que la notation souveraine tunisienne est ” très spéculative “, correspondant à des taux d’intérêt élevés.
Quid de l’appel du SG des Nations unies?
Et de rappeler qu'”à la fin octobre 2020, le secrétaire général des Nations unies a appelé à l’élargissement de l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) aux pays à revenu intermédiaire qui ont en besoin. Dans ce cadre, il a appelé les créanciers privés, et les agences de notation à se joindre à l’ISSD. Il a également appelé la Banque Mondiale et les banques multilatérales de développement, à mobiliser des ressources financières additionnelles, à l’aide des mécanismes traditionnels, ou bien en recourant à des instruments financiers innovants “.
” C’est dans l’esprit de cette dernière recommandation, que j’ai suggéré un mécanisme de financement dédié aux pays à revenu intermédiaire, qui est adapté à leur niveau de développement ” a-t-il enchaîné.
” En effet, l’idée est de leur permettre l’accès à des financements exceptionnels durant 2021, de la part des Banques Multilatérales de Développement, en vue de les aider à rembourser les services de leur dettes extérieures. Le mécanisme proposé s’articule sur une relation tripartite : le pays à revenu intermédiaire, les banques multilatérales de développement (BM, Asian Development Bank, African Development Bank, Islamic Development Bank,…) et le FMI.
Ainsi, le pays émettra des obligations indexées sur le PIB dont le coupon est variable en fonction du taux de croissance économique. Ces obligations seront émises à hauteur du service de la dette de 2021 (en l’occurrence 4,275 milliards de dinars pour la Tunisie). Les banques multilatérales de développement achèteront ces obligations à des coupons bonifiés (prime faible et un coupon maximal ne dépassant pas les 3% par exemple).
En vue de couvrir ces banques contre les risques de défaut, elles recevront des garanties de la part du FMI à travers un fond DTS (Droits de Tirage Spéciaux) spécifique. Cette garantie est nécessaire pour que la notation de ces banques ne soit pas elle-même affectée par cette souscription “, a-t-il expliqué.
Ce mécanisme évitera aux pays à revenu intermédiaire de subir le lourd processus de conditionnalité du programme de suspension de la dette, conçue pour les pays pauvres, conclut-il.