La réunion de la Commission chargée de récupérer les fonds expatriés durant le règne de Ben Ali, tenue le 25 novembre 2020 et présidée par le président, Kaïs Saïed, a été une opportunité pour d’anciens ministres de faire des révélations retentissantes sur ce dossier.
Abou Sarra
Globalement, ces ministres, qui ont eu à traiter directement ou indirectement ce sujet, ont pointé du doigt des parties qui ont été au pouvoir, depuis 2011. Ces dernières auraient, selon ses anciens hauts cadres, tout fait pour se déresponsabiliser et faire endosser toute la responsabilité des fonds spoliés et expatriés au seul Ben Ali.
La cachette d’Ali Baba, du cinéma
La révélation la plus fracassante est à l’actif de l’ancien ministre de l’Intérieur, Farhat Rajhi (17 janvier – 28 mars 2011) et actuel député d’Attayar.
Dans une déclaration faite récemment (début décembre 2020) sur les ondes de la radio privée IFM, Farhat Rajhi, qualifié à l’époque de «Monsieur propre» et limogé par Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre, seulement après deux ans et demi d’exercice, a récidivé en révélant de nouveau – puisqu’il a eu à le faire déjà, en 2012, sur la chaîne de télévision privée Hannibal- que «les liasses d’argent et les bijoux trouvés dans le coffre-fort de la résidence de Ben Ali à Sidi Dhrif était une pièce de théâtre montée de toutes pièces par des parties qui voulaient diaboliser encore Ben Ali et le faire détester encore par la population».
Dans cette nouvelle révélation, Rajhi rappelle que la découverte de « cette cachette d’Ali Baba » était illégale dans la mesure où elle n’a pas eu lieu en présence d’un procureur comme l’exige la loi. L’opération a été menée seulement par les membres de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation que présidait alors le défunt Abdelfattah Amor.
Autre élément nouveau : l’ancien ministre de l’Intérieur affirme que les liasses découvertes avaient été acheminées au palais de Sidi Dhrif par camion. Mieux, il défie quiconque lui indiquerait, aujourd’hui, où est passé cet argent découvert à l’époque.
Farhat Rajhi devait rapporter, ensuite, que le Premier ministre de l’époque et le président de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation lui avaient demandé de mener une opération similaire, au Palais de Carthage, projet qu’il avait rejeté et refusé, d’après lui.
Ceci étant, nous ne pouvons nous empêcher de rappeler le buzz qu’il avait créé le 5 mai 2011 dans une interview publiée sur Facebook où il traitait entre autres le chef du gouvernement d’alors, Béji Caid Essebsi, de “menteur”, déclarant que “son gouvernement (de BCE, ndlr) est manipulé par un ancien ami proche de Ben Ali”, et que “le chef d’Etat-major des armées, le général Rachid Ammar, prépare un coup d’État au cas où le mouvement Ennahdha remporterait les élections”, selon wikipédia.
En 2015, les ministres de Nidaa Tounes étaient contre
La deuxième révélation a été faite, sur sa page facebook, par Hatem El Euch (Union patriotique libre), ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières dans le gouvernement de Habib Essid (2015).
Dans une réaction à la déclaration faite par Kaïs Saïed lors de la réunion de la commission chargée de récupérer les fonds spoliés et dans laquelle le chef de l’Etat relevait que le dossier de récupération des biens spoliés n’a pas bougé d’un iota depuis 2015, l’ancien ministre a non seulement confirmé ces dires mais en plus a apporté d’autres éclairages.
Il a dévoilé qu’en sa qualité de ministre en charge du dossier, à l’époque, il a eu l’occasion de présenter à deux reprises, dans le cadre de conseils ministériels présidés par le chef du gouvernement de l’époque, Habib Essid, un projet de loi visant à accélérer la récupération les fonds spoliés, par la voie diplomatique et juridique.
Seulement, toujours selon lui, ce projet a été rejeté catégoriquement par des ministres de Nidaa Tounes sous prétexte qu’il allait provoquer l’ire et le mécontentement de députés alliés au Parlement.
Conséquence : le projet (dont il garde une copie et qu’il projette de publier incessamment) a été enterré.
La diplomatie, au temps de Caïd Essebsi, pointée du doigt
Avant ces deux révélations, il y a eu celles de Ghazi Chaouachi, ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières dans le gouvernement Elyès Fakhfakh.
Dans une interview, qu’il a accordée, après son départ du gouvernement, début septembre 2020, à la chaîne de télévision privée Attessa, il a fait assumer en grande partie cet échec à la diplomatie au temps du défunt Béji Caïd Essebsi. Il a pointé du doigt la contreperformance en la matière «de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jihanoui».
L’enjeu de ces révélations est de taille lorsqu’on sait que la Tunisie est menacée de perdre d’ici la fin de l’année tout espoir de récupérer les fonds spoliés et expatriés à l’étranger au temps de Ben Ali, conformément au droit international.
La règle étant claire à ce propos. Elle dit que si les fonds gelés ne sont pas récupérés, dans dix ans, leur gel sera levé, avec comme corollaire la perte définitive de ces fonds.