Au regard des informations qui circulent ces derniers jours sur les projets algérien et marocain de développer une industrie militaire exportatrice, nous sommes tentés de nous interroger sur les raisons qui empêchent la Tunisie de faire autant et d’initier une expertise dans ce créneau porteur.

 

Pour mesurer tout l’intérêt que les pays voisins accordent à cette industrie, deux récents événements majeurs méritent qu’on s’y attarde.

Le premier a eu lieu le 20 novembre 2020 en Algérie. Le chef d’État-major de l’Armée nationale populaire (ANP) et général de corps d’armée, Saïd Chanegriha, a déclaré en substance, devant les premiers responsables des entreprises industrielles de l’ANP, que «l’industrie militaire algérienne développée depuis 2008 est, aujourd’hui, en mesure d’exporter ses produits vers les pays de la région, mais aussi dans le monde, à la seule condition de respecter les normes internationales notamment en ce qui concerne la qualité».

La Tunisie a pris du retard par rapport à ses voisins

Le second s’est déroulé au Maroc, lors de la tournée maghrébine de l’ancien secrétaire américain à la Défense, Mark Esper (fin septembre-début octobre 2020), les négociations avec le Pentagone ont essentiellement porté sur les moyens d’aider les Marocains à booster «leur industrie aérospatiale et de défense».

Cela pour dire que l’industrie militaire est érigée dans ces deux pays en priorité géostratégique. Et pour cause. Les avantages qu’elle engendre sont multiples.

Elles s’inscrivent dans le droit fil des priorités des pays en développement. Il s’agit d’économiser de la devise, d’employer des ressources humaines qualifiées et de dynamiser les activités y afférentes. L’industrie militaire étant à l’intersection d’activités industrielles multidisciplinaires : électronique, mécanique, ingénierie, informatique, robotique…

Pour le cas de la Tunisie, en dépit de quelques unités embryonnaires spécialisées principalement dans l’assemblage, en partenariat public privé (PPP), de frégates et de patrouilleurs construits par la Société de constructions industrielles et navales (SCIN), l’industrie militaire n’est pas encore confirmée comme une véritable industrie.

Les atouts de la Tunisie pour développer une industrie militaire

Pourtant, les anciens ministres de la Défense, Adelkerim Zbidi (gouvernement Youssef Chahed) et Imed Hazgui (gouvernement d’Elyès Fakhfakh), entre autres, n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur les avantages dont peut tirer la Tunisie du développement d’une industrie militaire.

Parmi les atouts dont bénéficie le pays en la matière, les deux ministres et les experts d’ailleurs en citent deux. Le premier porte sur l’intérêt exprimé par des investisseurs étrangers «en vue de faire du site Tunisie une plateforme de l’industrie militaire dont la production serait destinée à l’exportation vers l’Afrique».

Le second étant la récente adhésion, à cette fin, à d’importants groupements économiques régionaux africains : La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Opter pour les nouvelles technologies d’armement

Par-delà cette simple prise de conscience des ministres tunisiens de la Défense, des analystes  militaires comme le Tunisien Jied Aouij (directeur général de la société tunisienne Femco LTD,  entreprise de conseil en sécurité et défense spécialisée dans la fourniture d’équipements militaires) qui essaie, à travers des vidéos et des communications écrites, à sensibiliser les autorités tunisiennes à l’enjeu stratégique de mettre au point une stratégie cohérente pour la promotion d’une industrie militaire en Tunisie.

«Les enjeux de cette industrie sont multiples : une réduction des dépenses militaires, avoir une autonomie nationale, permettre la création d’emplois directs et indirects, et au mieux l’exportation du savoir-faire».

Et d’ajouter : « La Tunisie n’a pas d’histoire industrielle dans l’armement, mais son potentiel scientifique et technique est fort. Nous pourrions développer des armes au contenu technologique purement tunisien ».

Concrètement, il conseille au gouvernement de commencer par « l’achat de licences auprès de fabricants étrangers (…) ». Car, dit-il, « l’acquisition d’un savoir-faire technique et la formation d’un personnel qualifié permettent à l’économie nationale d’étendre et de moderniser son potentiel scientifique et technique ».

Il recommande, également, de mettre de côté ce qu’il appelle « le matériel de haute intensité » et d’opter pour la conception et la fabrication d’armes dissuasives à notre portée technologiquement.

A ce propos et à titre indicatif, il fait une mention spéciale pour la fabrication des drones retenus comme des armes efficaces pour la surveillance, au moindre coût, des frontières du pays. Il a été même précis en plaidant pour « un drone polyvalent de fabrication tunisienne ».

Au plan institutionnel, il propose la création de tout un ministère spécialement dédié à la fabrication d’armes. Ce département sera imparti de la mission de développer une industrie militaire dans le cadre d’un partenariat public privé, ce qui favoriserait, selon lui, la création d’une nouvelle dynamique dans le domaine économique, social et industriel.

A bon entendeur.

Abou SARRA