Mercredi 16 décembre 2020, la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) présidée par Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, donnera une conférence de presse à l’occasion de la publication de son rapport d’activité pour les années 2018-2019.
On découvrira à l’occasion le degré d’évolution de la transparence et de la légalité des transactions financières dans notre pays, et nous saurons éventuellement si des partis ou des associations ont reçu des financements occultes.
Financements qui, rappelons-le, ont été il n’y a pas si longtemps dénoncés par la Cour des comptes dans son rapport annuel et dans lequel partis et hommes politiques ont été incriminés.
Il faut dire que les déclarations de revenus des « entrepreneurs » politiques ne se soucient pas de tels rapports face au silence de la justice. Le président de la République, obsédé lui-même par la lutte contre la corruption et les financements occultes, n’aurait pas, selon une source qui préfère taire son nom, rendu compte de ses déclarations de revenus pour les années 2016/2017 ; seule déclaration faite par ses soins est celle de 2018 pour les besoins de sa candidature présidentielle.
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« Vous achetez un petit lopin de terre de 10 000 dinars, vous devez avoir 3 déclarations de revenus à part celle de l’année en cours. La loi n’oblige pas le président de la République -qui décide du destin de tout le pays- de présenter les déclarations des années précédant sa candidature ».
Il n’est pas le seul, nombreux sont les activistes politiques et associatifs dont des députés et des présidents d’associations qui ignorent les déclarations de biens et de revenus. Ceci sans parler de certains opérateurs économiques experts en fraude fiscale et en blanchiment d’argent. Comme en témoignent tous les biens immobiliers achetés cash.
Dans son dernier rapport, celui publié en 2017, la CTAF recense le nombre des déclarations de soupçon (DS) reçues à 503 contre 265 déclarations en 2016, soit une progression de 90% environ. « Il s’agit du deuxième plus haut niveau du flux déclaratif jamais enregistré par la CTAF. L’analyse quantitative montre que plus de 89% des déclarations de soupçon continuent de provenir des banques. Corrélativement, l’effort déclaratif des autres assujettis, notamment les professions non financières désignées (DNFBP), reste assez timide ». Et pourtant c’est là où l’on peut détecter le plus de malversations financières, mais tant qu’on est dans l’informel, tout est possible.
Une justice silencieuse face aux pratiques illicites…
L’effort national de lutte contre le blanchiment des capitaux, la fraude fiscale et le financement du terrorisme reste insuffisant malgré toutes les campagnes conduites par les partis politiques et par la société civile. Partis qui se trouvent eux-mêmes incriminés dans des pratiques illicites comme en témoigne le dernier rapport de la Cour des comptes qui n’a suscité, à notre connaissance, aucune réaction de la part de la justice. Sachant que les fonds occultes proviennent, selon nombre de rapports internationaux, des microfinancements extérieurs, du trafic transfrontalier et de la contrebande et illustrent une forte imbrication entre financement du terrorisme et criminalité. Des pratiques courantes dans les zones fragiles institutionnellement telles que la Tunisie, aujourd’hui.
Une justice qui marche au ralenti…
Face à cela, la CTAF ne peut que soumettre les affaires douteuses à la justice. Une justice qui marche au ralenti et qui n’avance pas surtout dans les dossiers du terrorisme, des financements occultes et du blanchiment d’argent.
A la question “pourquoi vous ne légiférez-vous pas pour donner une auto-saisine à la CTAF“, un député répond : « Vous voulez que des blocs parlementaires légifèrent contre eux-mêmes ? Et pourquoi est-ce que la justice ne se saisit pas par elle-même des dossiers compromettants ? Le rapport de la Cour des comptes aurait dû enclencher tout un processus judiciaire ».
Que fera la CTAF?
Comment sévir face à l’impunité ? C’est peut-être à cette question que doit répondre la CTAF lors de la conférence de presse organisée mercredi 16 courant.
Le retrait de la Tunisie de la liste des pays sous la surveillance du GAFI décidé au mois d’octobre 2019 et son retrait de la liste des pays tiers à haut risque de l’Union européenne dénotent de la conformité et de l’efficacité du dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Mais jusqu’à quand durera cet état de grâce si l’Etat tunisien n’applique pas lui-même des règles drastiques contre toutes les mauvaises pratiques et l’absence de transparence chez nombre de décideurs économiques et politiques ?
Amel Belhadj Ali