La loi de finances pour l’exercice 2021 est une “loi temporaire”, dépourvue des réformes structurelles nécessaires, a indiqué l’expert-comptable et secrétaire général de l’Union tunisienne des professions libérales, Anis Wahabi, dans une interview accordée à l’agence TAP.
Selon lui, le budget de l’Etat et la LF 2021 reposent sur des hypothèses irréalistes, notamment celle d’un prix du baril de pétrole à 45 dollars, alors que le prix mondial dépasse actuellement les 48 dollars, et que tous les indicateurs laissent présager une tendance haussière.
Par ailleurs, la LF 2021 prévoit une mobilisation de ressources financières via des emprunts internes “qui dépassent la capacité réelle du marché financier intérieur”, tandis que “la sortie sur le marché extérieur sera très coûteuse, compte tenu de la dégradation de la notation souveraine du pays et de la suspension de l’accord avec le Fonds monétaire international sur un nouveau programme de financement, en raison de l’absence de réformes”.
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Face à cette situation, que peut faire le gouvernement ?
L’expert-comptable conseille de “revoir les méthodes adoptées pour l’élaboration du budget de l’Etat, et être conscient que cet exercice sera extrêmement difficile, au vu de la situation économique et politique du pays, d’autant plus que le système politique est incapable de trouver des solutions et de prendre des décisions”.
Pour lui, “les tensions politiques empêchent toute réforme et crée un problème dans chaque solution. Tout le monde a remarqué l’absence d’un élan réformateur, de mesures d’impulsion de l’investissement et d’autres de soutien aux entreprises et de relance de l’économie, dans la loi de finances 2021”.
De nombreuses parties ont critiqué cette loi, estimant qu’elle n’a aucune portée sociale et ne comporte pas de mesures de soutien aux catégories faibles et vulnérables, et même quasiment pas de mesures en faveur du développement. Toutes ces revendications sont légitimes mais elles ont un coût, alors que malheureusement, les finances publiques sont aujourd’hui, incapables d’apporter de nouveaux financements. Faute de moyens financiers, nous retournons de nouveau dans le même cercle vicieux. La solution ne peut être que politique et diplomatique, mais avons-nous des dirigeants capables de trouver cette solution ?
Que pensez-vous des réformes fiscales prévues dans la LF 2021 ?
En ce qui concerne les mesures fiscales, elles sont limitées et ne reflètent pas une politique fiscale claire ou une méthodologie de réforme claire.
Cependant, il faut bien convenir que les circonstances de la préparation de la loi de finances après le remplacement du gouvernement Fakhfakh par celui de Mechichi ont eu un grand impact sur l’élaboration de la LF…
Cette situation a induit la présentations de plusieurs propositions irréfléchies, à la dernière minute.
Plusieurs articles ont été proposés tardivement, sans une étude approfondie de leurs répercussions éventuelles sur l’économie et les équilibres financiers. Les blocs parlementaires à l’ARP ont soumis plus d’une centaine de propositions pour la LF 2021, lesquelles ont été heureusement, rejetées, en raison de la superficialité du contenu et de la mauvaise formulation. Comme a dit l’écrivain égyptien Taha Hussein “ce n’est pas comme cela qu’on rédige les textes de loi”.
Parmi les plus importantes mesures de la LF, celle de l’unification de l’impôt sur les sociétés, au niveau de 15%, mais certains observateurs estiment qu’il ne s’agit pas, vraiment, d’une unification, dans la mesure où il existe d’autres taux qui ne sont pas concernés par l’unification, notamment l’imposition de 35% appliquée aux institutions financières, aux sociétés d’assurance, aux grandes surfaces, au transport des produits pétroliers, aux services pétroliers…, ainsi que le taux de 10%, appliqué aux secteurs de l’agriculture, de l’artisanat et autres… L’abaissement de l’IS pourrait contribuer à la lutte contre l’évasion fiscale, mais reste insuffisant pour atteindre cet objectif.
D’autre part, cette mesure ne prend pas en considération l’impôt sur les revenus des personnes physiques, ce qui pose un problème d’équité fiscale.
L’autre mesure à ne pas oublier, est celle relative à la réduction des taux de la retenue à la source de 15 à 10%, de 5 à 3% et de 1,5 à 1%.
Cette mesure permettra de limiter le trop perçu de l’impôt retenu à la source, mais elle diminuera les revenus de l’Etat. Aussi, l’application de cette mesure est tributaire de la capacité de l’administration fiscale à contrôler et à croiser les données, alors que cette dernière a toujours besoin d’un renforcement de ses capacités logistiques et informatiques.
Comment pourrait-on rectifier le tir ?
Nous sommes arrivés à une situation où on ne peut plus se permettre de retarder davantage les réformes.
Il faut revoir les équilibres et arrêter le recours aux solutions de facilité comme l’endettement ou le financement direct auprès de la BCT, car ce genre de solutions aura de lourdes répercussions dans l’avenir.
Il faut résoudre la crise politique, arrêter les discours populistes et les politiques politiciennes et assumer la responsabilité de sauver le pays, en conjuguant les efforts de lutte contre la corruption et l’économique parallèle.
Il faut mettre en place des plans et des solutions étudiées et réfléchies et des politiques économiques fondées sur le retour de la confiance, à l’échelle intérieure et extérieure. Ce retour de la confiance permettra d’attirer les investissements et les capitaux étrangers et de favoriser la croissance et la création de richesses. Il faut miser sur le potentiel inexploité du pays. La Tunisie a besoin de véritables patriotes pour le mettre en exergue..