En prévision de la vive concurrence que vont livrer les ports en eaux profondes (PEP) et autres logistiques portuaires en Méditerranée, au futur port en eaux profondes d’Enfidha, les autorités portuaires tunisiennes sont amenées à agir à deux niveaux : adapter le futur PEP aux exigences de la concurrence et harmoniser son l’activité avec celles des six ports commerciaux du pays. 

Abou SARRA

Concernant le premier volet, le gouvernement tunisien a chargé le bureau d’études allemand «HPC» pour mette à niveau l’étude de faisabilité technico-économique du projet (laquelle étude date depuis 2007) et pour l’adapter aux nouvelles exigences de compétitivité et de rentabilité.

En dépit de la concurrence le PEP d’Enfidha demeure rentable

Les conclusions de la nouvelle étude sont rassurantes pour peu que certaines conditions soient réunies. En effet, le bureau d’études allemand (HPC) a démontré que « le port en eaux profondes d’Enfidha (PEPE) reste bancable et rentable. Il pourrait capter 10% au moins de la hausse du trafic maritime international, à la seule condition qu’il soit construit avant celui de Cherchell en Algérie. Les travaux de construction de ce dernier étant actuellement suspendus en raison d’un différend avec un constructeur chinois ».

Le PEP d’Enfidha pourrait, également, grignoter une part de marché en exploitant la saturation des PEP de «Marsaxlokk» de Malte et «Gioia Tauro» d’Italie, arrivés au maximum de leurs capacités.

En somme, ce que recommande le bureau d’études allemand aux tunisiens est de faire démarrer, dans les meilleurs délais le projet du PEP d’Enfidha et surtout de le faire avant d’autres pays…

Abstraction faite de cet incident, les entreprises françaises sont en lice pour remporter ce marché de 3,3 milliards de dinars. A cette fin, le cluster maritime tunisien, créé en juin 2018 en collaboration avec le cluster maritime français lors de la Saison Bleue en Tunisie à Bizerte, œuvre avec l’ambassade de France en Tunisie pour que les Français l’emportent ce marché.

Lors d’un entretien accordé à econostrum.info, pendant le Salon Euromaritime (Marseille 4 au 6 février 2020), Ezzedine Kacem, président-fondateur du Cluster maritime tunisien, a déclaré avoir lancé, au mois de février 2020, « un dossier de consultation auprès de six entreprises intéressées dont quatre françaises, une américaine et un consortium turco-chinois », ajoutant qu’il y aura une autre consultation pour l’exploitation et le matériel d’acconage.

Le projet tuniso-français serait d’inscrire le projet du port en eaux profondes d’Enfidha dans la cadre de «la coopération Nord/Sud».

Concrètement, l’idée serait, d’après Ezzeddine Kacem, « de tracer un axe de coopération entre l’Europe et le Nord du bassin méditerranéen par la France et le continent africain par la Tunisie ».

Quid de l’impact du projet sur les ports commerciaux du pays 

S’agissant du deuxième volet, il concerne la délicate répartition du trafic entre le futur port en eaux profondes et les six ports commerciaux de la Tunisie : Bizerte, Radès, Sousse, Sfax, Gabès et Zarzis.

Il s’agit en quelque sorte de mener une étude d’impact du futur port d’Enfidha qui serait en plus un “global harbour” (Port global).

D’après Salem Nabgha, président de la Fédération du transport (UTICA), qui s’exprime dans le cadre d’une interview accordée à un magazine de la place, «il y a urgence à effectuer une étude d’impact du futur port en eaux profondes sur la pérennité des six ports commerciaux existants. L’ultime but est de faire l’économie de désagréables surprises avec une éventuelle émergence de problèmes sociaux en raison de la baisse d’activité de ces ports et son corollaire, la mise en chômage de milliers de personnes».

Interpellé par les médias sur ce sujet, l’ancien ministre des Finances (2013), Hakim Ben Hammouda (gouvernement de Mehdi Jomaa), avait proposé une stratégie en trois points pour inscrire, dans la durée, l’activité des six ports commerciaux du pays.

Il s’agit de les restructurer, sur un pied d’égalité, de décentraliser une grande partie des activités de Radès et d’opter pour la spécialisation de chaque port.

Ezzeddine Kacem fait une mention spéciale pour deux autres projets, celui de conférer au port de Radès une dimension en le dotant de deux nouveaux quais, et celui de construire, à Skhira, un autre port en eaux profondes pour les pétroliers.

Nous pensons que la Tunisie pourrait, par le canal de la construction du PEP structurant d’Enfidha et de la restructuration de ses six ports commerciaux, fédérer les énergies aux fins de booster les échanges extérieurs du pays et de leur assurer plus de valeur ajoutée à la faveur des zones économiques et logistiques localisées aux environs de ces ouvrages.

Rappelons que le surcoût généré par la mauvaise gouvernance du port de Radès est estimée, selon la Banque mondiale, à 1,2 milliard de dinars en 2019 pour la Tunisie. Ce surcoût provient des pertes au niveau de l’économie d’échelle, de la taxe de congestion et des surestaries des conteneurs (bateaux en rade).

A propos des ports tunisiens :

La Tunisie compte 8 grands ports spécialisés :

Bizerte (hydrocarbures, raffinerie de la STIR, vrac et quelques postes spécialisés),

La Goulette (roulier, navires de croisière),

Radès (porte-conteneurs),

Sousse (marchandises diverses),

Sfax (vrac et divers),

Skhira (port pétrochimique),

Gabès (principalement des chimiquiers),

Zarzis (marchandises diverses, faible trafic).

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