L’ONG Médecins du Monde Belgique Section Tunisie et la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté ont lancé en 2020 une étude sur l’accès à la protection sociale des femmes vivant en milieu rural.
Un atelier de présentation des résultats de cette étude et de ses recommandations a eu lieu, lundi 21 décembre 2020, à Tunis, en présence de plusieurs experts, acteurs de la société civile, médias et représentants des différents ministères concernés.
Intitulée “L’accès à la protection sociale des femmes en milieu rural », cette étude a été menée dans le cadre du projet Rifeya mis en œuvre dans six gouvernorats de la Tunisie, à savoir Bizerte, Mahdia, Jendouba, Siliana, Kasserine et Sidi Bouzid. Elle a été réalisée dans un contexte assez spécifique marqué par la montée des effets de la pandémie de la COVID 19 dans les deux milieux urbain et rural.
L’objectif de l’étude consiste à apporter une meilleure compréhension des défis, contraintes et opportunités pour l’amélioration des conditions d’accès des femmes vivant en milieu rural à la protection sociale et de faire face ainsi aux risques pouvant aggraver leur vulnérabilité. L’étude a permis, en effet, d’avoir une cartographie dynamique des acteurs clés du système de la protection sociale, d’identifier les facteurs, les déterminants et les barrières empêchant l’accès à ce système et d’élaborer une série de recommandations donnant lieu à des priorités d’action.
Selon Madame Christelle Léon, coordinatrice générale de Médecins du Monde Belgique – section Tunisie « La situation de la femme en milieu rural et son accès à la protection sociale est aujourd’hui un thème d’actualité qui a suscité l’intérêt des pouvoirs publics, de la société civile et des projets de la coopération internationale. Cependant plusieurs obstacles existent encore dans la mise en place d’un système effectif et cohérant entre les différents intervenants. Nous avons étudié les barrières, identifié les rôles et les responsabilités de chacun et nous appelons à travers des recommandations stratégiques et spécifiques à un plan d’action multi-acteurs qui pourra changer la situation ».
L’Etat demeure l’acteur principal de la protection sociale
La cartographie des acteurs élaborée, dans l’étude, à partir de la mesure des rapports d’influence et de domination, montre que l’Etat et ses structures centralisées et décentralisées demeurent l’acteur principal de la protection sociale, ce qui n’exclut pas le rôle joué par les organisations de la société civile, les organisations non-gouvernementales et les bailleurs de fonds dans l’appui financier et technique.
L’étude met en évidence les enjeux et les barrières multiples
D’après l’étude réalisée, suite à un ensemble de questionnaires et de ‘‘focus groups’’ lancés dans les régions cibles du projet Rifeya, les facteurs déterminant l’accès à la protection sociale sont d’ordre culturel, structurel, social et institutionnel. L’étude cite notamment :
– La précarité des activités dans le secteur de l’agriculture, où la relation professionnelle entre les femmes et les exploitants agricoles est quasi-absente. Les femmes continuent à exercer un travail précaire et saisonnier dans plusieurs exploitations et à des rythmes discontinus. Ce contexte explique l’inscription de la majorité des exploitants dans ce système informel qui accentue la ségrégation et l’exploitation des femmes.
– L’accès au transport : malgré la promulgation du décret gouvernemental n° 2020-724 relatif au transport des travailleur.se.s agricoles, la situation ne s’est pas améliorée et les transporteurs clandestins continuent à exercer en dehors de tout contrôle strict de l’Etat. Ces transporteurs informels, en milieu rural, s’ils offrent une protection parallèle aux femmes, accentuent cependant leur ségrégation et les exposent aux différentes formes d’exploitation, de risques et de maltraitance.
– Les mutations des ménages en milieu rural et l’accès au logement adéquat : l’évolution des ménages et l’accès difficile au foncier et à l’emploi ont réduit les chances des femmes d’accéder à un logement décent.
– L’accès à la couverture sociale : la couverture sociale n’est pas considérée comme une priorité. Elle est souvent synonyme de dons ou de pensions accordées gratuitement par l’Etat sans contribution de la part du bénéficiaire. Cette représentation qui rappelle l’Etat providence et paternaliste, domine l’esprit des femmes en milieu rural et conduit à la mise en question des démarches d’affiliation aux régimes contributifs de sécurité sociale, notamment celui reconnu par “Ahmini”.
– Les valeurs et la structure socio-culturelle : de par le faible niveau d’instruction et l’analphabétisme, les jugements de valeurs et les idées stéréotypées à domination masculine, continuent à marquer la société traditionnelle. Le statut des femmes dans les ménages prend différentes configurations : de la transposition des rôles, à la domination, à l’exploitation et la violence.
– L’accès aux services de soins et de santé : Les facteurs déterminant l’accès aux soins de santé sont ainsi d’ordre structurel et culturel. Ils se résument, entre autres, à l’absence d’un service de qualité dans les centres de santé de base et les hôpitaux de circonscriptions, la faible prise de conscience de l’importance de la santé maternelle et la priorité accordée au travail, l’absence d’une éducation sexuelle au sein de la famille vivant en milieu rural ainsi que la faible accessibilité des services de santé causée par le mauvais état de l’infrastructure et les problèmes de transport.
– La vulnérabilité sociale et sanitaire et l’exposition aux risques : ces risques sont causés soit par les aléas naturels ou par l’action anthropique. Leurs effets directs ou indirects peuvent être ressentis sur la santé des femmes ou sur leur statut social et économique.
– La gouvernance de la protection sociale et les modes de communication : ce facteur transversal est d’une importance capitale dans la mise en place d’un système de protection qui favorise la légitimité des interventions. Il garantit la transparence des relations et négocie d’une manière participative les interventions en faveur des femmes en milieu rural. Il intervient comme régulateur des conflits et facilite la mise en synergie des acteurs et leurs programmes.
Une série de recommandations adressées aux parties prenantes
Plusieurs recommandations ont été formulées par l’étude autour de cinq orientations stratégiques qui visent à :
– Contextualiser les démarches de planification et de programmation des projets d’autonomisation.
– Développer les dispositifs d’observation et d’information sur les femmes en milieu rural.
– Renforcer les compétences féminines et développer le savoir-faire local en milieu rural.
– Intégrer les acteurs informels et développer les structures de l’économie sociale et solidaire.
– Mettre en cohérence les enjeux des acteurs et renforcer les initiatives de partenariat entre les différentes parties prenantes.
Il est à noter qu’un atelier interactif avec les différents intervenants publics et associatifs travaillant sur le sujet de la protection sociale des femmes en milieu rural a eu lieu le mois dernier afin de retracer les orientations, les champs et les priorités d’intervention.