« Le populisme a le pouvoir de démolir les régimes les plus puissants … Ce qui s’est passe dans la capitale fédérale américaine, Washington, représente un signe annonciateur de l’ère du populisme qui progresse face à un libéralisme sauvage et dépourvu de valeurs. Quelle que soit la parade des dirigeants américains, la fracture s’est produite et la symbolique démocratique selon laquelle chacun doit respecter les règles du jeu s’est effondrée ».
Rafaa Tabib, enseignant universitaire et chercheur en anthropologie politique, commente ainsi l’attaque, par les partisans du président sortant, Donald Trump, du Capitole, temple de la démocratie américaine.
Donald Trump a invité ses sympathisants à marcher le Capitole, au moment où le Congrès (Chambre des représentants et sénateurs) procédait à la cérémonie de certification de la victoire du démocrate Joe Biden aux présidentielles du 3 novembre 2020.
A souligner au passage que Trump, tout en appelant au calme, ne reconnaît toujours pas sa défaite.
« Ce qui s’est passé à Washington est une humiliation pour l’Amérique et la démocratie. Un moment de “gloire“ pour le populisme qui légitime la rue: مشروعية الشارع », a lui aussi commenté Slim Tlatli, ancien ministre du Tourisme.
Cependant, en dépit des faits regrettables vécus mercredi 6 janvier 2021 par la capitale américaine, Washington, les USA restent une grande démocratie dotée des plus fortes institutions au monde. Ainsi, qu’il s’agisse des démocrates -vainqueurs des dernières élections de 2020- ou des républicains, la plupart des sénateurs ont presque condamné le discours de Trump et les violences de ses partisans, exprimant leur indignation et leur attachement à leurs acquis démocratiques et institutions « plus fortes et plus importantes que les hommes ».
Et loin d’être intimidé, le Congrès a repris le processus de certification et a confirmé la victoire de Joe Biden.
Ce qui s’est passé à Washington, même si « rattrapé » par des réflexes démocratiques solidement ancrés et neutralisés par la force des institutions américaines, est un signe précurseur de la fin des démocraties représentatives telles qu’exercées aujourd’hui. Ces faits inédits expriment la perte de confiance des peuples dans les systèmes de suffrage qui mènent les élus aux Parlements, quelles que soient leurs orientations politiques ou leurs appartenances.
Pour le leadership politique tunisien, le populisme est la carte gagnante
Il n’est pas sûr que dans pareille situation, le prétendu leadership politique tunisien, populiste à souhait, fasse de même.
S’il a suffi de 4 ans de règne pour que le plus populiste des présidents américains sème le chaos dans l’une des démocraties les plus confirmées depuis plus de 250 ans, qu’en serait-il dans un pays comme la Tunisie où la démocratie est au stade embryonnaire ?
Quelle pourrait-être, à titre d’exemple, la conséquence d’une perte des élections par le parti Ennahdha ? Serait-il possible qu’il accepte sa défaite courtoisement dans le respect de la tradition démocratique au nom de laquelle il s’est attribué le pouvoir ?
Donald Trump est populiste, et parce qu’il l’est, il est dangereux. Mais notre prétendu « leadership » politique alors ?
Nos élections souvent burlesques, les candidats capables et coupables de tout, de fausses promesses comme des pires mensonges et filouteries, n’inspirent pas confiance.
Des électeurs déçus et désabusés refusent que leurs voix soient confisquées et préfèrent la posture abstentionniste. D’autres ingurgitent les discours creux des mouvements populistes et s’y plient, dans la majorité des cas par ignorance ou par pique.
Les exemples chez nous sont légion. Ennahdha, parti majoritaire au pouvoir depuis 2011, est connu pour la violence des mots de ses dirigeants qui brandissent des menaces à chaque occasion. Les leaders du parti islamiste ont, à maintes reprises, menacé le pays de guerre civile ou de milliers de kamikazes s’ils sont écartés du pouvoir.
Les premières lignes du parti n’ont pas hésité à tenir un discours populiste à souhait, faisant prévaloir les dangers d’une société ouverte et laïque sur l’islam. Ils ont été dépassés dans leur discours par une autre aile populiste extrémiste, aujourd’hui représentée par le parti Al Karama, lequel, au discours religieux extrêmement intolérant, a ajouté le volet “spoliation des richesses du pays“ par la France et autres pays occidentaux.
Un autre discours populiste a porté ses fruits, celui du parti Qalb Tounes qui a beaucoup investi dans le mécénat, s’adressant aux classes populaires vivant dans des situations précaires pour les convaincre de sa capacité à métamorphoser leurs vies et à changer leur vécu.
A-t-il pu le faire ? Non, bien entendu, tout comme Al Karama n’a rien récupéré des prétendues richesses nationales spoliées par l’étranger, et le parti Ennahdha qui n’a rien changé à la réalité misérable d’une Tunisie qui va de mal en pis.
Le parti Attayar, dont le cheval de bataille a été la “lutte contre la corruption“, ne fait que constater la généralisation de la corruption dans toutes les sphères socioéconomiques et politiques tunisiennes.
Le pire est qu’à chaque fois, ces mouvements politiques “extrémistes“ ont pu convaincre et rallier à leurs discours des centaines de milliers de Tunisiens, crédules, ignares et naïfs.
Pour ces partis, la démocratie consiste à dire, à promettre et à faire n’importe quoi. Aujourd’hui, des leaders politiques -que l’on considérait comme faisant partie des plus éclairés- choisissent le chemin populiste, dans un contexte où quelques hommes et femmes de médias manipulent à souhait l’opinion des hommes politiques et agissent sur leur image.
Pour le leadership politique tunisien, le populisme serait la carte gagnante !
Et si le président américain –sortant- a usé à satiété des réseaux sociaux pour rallier plus de 74 millions d’Américain à ses idées, en Tunisie, les médias audiovisuels sont devenus l’espace où une propagande préjudiciable au pays fait éclater les valeurs culturelles et s’attelle à déconstruire l’héritage de tolérance et d’ouverture de la Tunisie. C’est un espace où la parole politique, supposée convaincre, expliquer, donner de l’espoir et aplanir les divers conflits de la société, est devenue, elle-même, un vecteur de division et de clivage sociétal.
Les leaders politiques, incapables de communiquer avec le peuple, choisissent de recourir aux médias populistes pensant rallier à eux le peuple. Et pourtant, nous dit Philippe Bilger, président de l’Institut de la parole en France, « Le discours idéal, c’est une capacité à appréhender la complexité du monde avec un langage parfaitement accessible, sans être populiste, qui respecte à la fois la syntaxe du langage et la cohérence de la pensée. C’est la rencontre d’une personnalité qui s’affirme et de la technique la plus irréprochable possible ».
Le but ultime est de convaincre et d’élever la conscience populaire et non de l’abrutir parce que, comme l’a dit feu Bourguiba, le plus visionnaire des présidents tunisiens, « Il vaut mieux gouverner des citoyens qu’un magma de tribus ou une poussière d’individus ».
Amel Belhadj Ali