La fréquence des périodes de sécheresse en Tunisie entraînera une pénurie des ressources en eau, surtout que nos réserves ne dépassent pas 50% de la capacité des barrages, ce qui rend l’approvisionnement en eau dans le pays de plus en plus difficile. C’est ce que relève le PDG de la SONEDE (Société nationale de distribution des eaux), Mosbah Helali, dans une interview à l’agence TAP.
Quel est l’état actuel de la situation des ressources hydrauliques en Tunisie ?
Mosbah Helali: La Tunisie souffre d’une pénurie d’eau. Avec 450 m3 d’eau par personne et par an, elle fait face à un stress hydrique. Ce chiffre devrait atteindre 350 m3, en 2030.
La rareté de l’eau est due à l’irrégularité des pluies et aux fréquentes périodes de sécheresse qui durent jusqu’à 3 ans, en raison du changement climatique. En fait, notre pays fait partie des 10 pays au monde les plus vulnérables aux effets du changement climatique.
Vous avez affirmé, devant la Commission des finances à l’ARP, qu’il y aura de grandes difficultés, pour approvisionner Tunis en eau, durant cet été et l’été prochain.
2020 a été une année de sécheresse, puisque nos réserves en eau n’ont pas dépassé 50% de la capacité de nos barrages, ce qui signifie que les barrages sont vides.
L’année 2022 sera, elle aussi, difficile, étant donné que l’offre en eau sera limitée et couvrira à peine les besoins, car le nouveau complexe de traitement de l’eau qui sera installé dans la région de Bejaoua ne sera prêt qu’en 2023. Ce projet permettra d’assurer les besoins des citoyens du Grand Tunis jusqu’en 2036.
Les citoyens sont donc invités à faire preuve de responsabilité et à rationaliser leur consommation d’eau, afin d’éviter le déficit en eau, en attendant la finalisation de la nouvelle station…
L’article 44 de la Constitution tunisienne garantit le droit à l’eau, mais il stipule également “le devoir de l’Etat et de la société de conserver l’eau”.
Des mesures peuvent-elles être prises pour forcer le citoyen à économiser l’eau ?
Nous comptons actuellement sur le sens des responsabilités chez les citoyens, pour faire face à la rareté de l’eau, qui est devenue une réelle menace pour notre pays. Nous n’avons pas encore eu recours à des mesures d’interdiction de certaines utilisations secondaires de l’eau.
Mais plus de 30% des pertes d’eau sont dues aux problèmes d’étanchéité des canaux de distribution, selon l’Observatoire tunisien de l’eau. C’est du gaspillage, non ?
Ce n’est pas vrai, et il n’y a aucune preuve pour le confirmer. Oui il existe des pertes d’eau, mais pas à ce point. Notre réseau comprend des canaux anciens, dont la plupart sont installés dans la capitale, mais ils sont toujours performants.
Concernant les canaux qui ne sont plus exploitables, nous avons lancé un programme de renouvellement dans la capitale, sur une période de 5 ans, moyennant un financement de l’ordre de 25 millions de dinars.
Qu’est-ce qui explique ces fréquentes perturbations dans la distribution de l’eau potable dans les différentes régions du pays ?
Nous enregistrons quotidiennement environ 50 pannes sur un réseau de 57.000 km. Certaines perturbations sont aussi dues à des travaux programmés par la société, ou à des accidents survenus lors de travaux engagés par d’autres entreprises de travaux publics.
Ces perturbations existaient déjà et existeront toujours, mais ce qui est nouveau, c’est la stratégie de communication de la société qui a opté, depuis trois ans, pour une politique de transparence qui consiste à informer le citoyen de toutes les perturbations dans la distribution de l’eau potable.
Ces perturbations auraient favorisé des mouvements de protestation dans plusieurs régions du pays ?
Depuis 2011, nous avons constaté une recrudescence des actes de vandalisme contre les équipements et les ouvrages relevant de la société, mais aussi des agressions contre ses agents. Certaines agressions ont même dégénéré en meurtres. Près de 1.400 plaintes ont été déposées et des jugements ont été prononcés pour atteinte aux biens publics et à l’intégrité physique des agents.
Sachant que la SONEDE est une entreprise commerciale qui ne dispose pas de ses propres agents de sécurité mais de simples agents de gardiennage.
Quelle est la vision stratégique de la situation hydrique à court, moyen et long termes?
Nous nous basons actuellement sur une étude prospective pour les 20 à 25 années à venir. Cette étude montre qu’il n’y aura pas de grandes difficultés d’ici 2035.
Parallèlement, une étude stratégique nationale de la situation hydrique à l’horizon 2050 est en cours et permettra de définir les grandes orientations en matière de gestion de l’eau.
Par ailleurs, notre stratégie s’articule autour de quatre axes. Le premier, c’est la transition de la maîtrise de l’offre vers la maîtrise de la demande, à travers la rationalisation de la consommation de l’eau, une ressource qui se raréfie davantage chaque jour de par le monde, au point que certains évoquent déjà la possibilité de futures “guerres de l’eau”.
Le deuxième axe consiste à assurer l’approvisionnement en eau potable, à travers un ensemble de projets que nous avons déjà initiés, à l’instar des projets de dessalement des eaux souterraines et de l’eau de mer dans le sud.
A ce titre, j’aimerais préciser que les travaux de la station de dessalement de l’eau de mer de Zaraat, qui couvrira les gouvernorats de Gabès, Médenine et Tataouine, ont atteint un taux d’avancement de 60% et devraient être achevés vers la fin de 2021.
D’autres stations de dessalement vont être réalisées à Sfax et Sousse et sont en phase de l’obtention de l’accord entre la Tunisie et les bailleurs de fonds.
Un autre projet d’amélioration de l’approvisionnement en eau est aussi en cours dans le nord moyennant une enveloppe de 500 millions de dinars. Ce projet a été finalisé à Jendouba et est toujours en cours de réalisation à Bizerte et Béja.
Nous avons également programmé un projet d’approvisionnement en eau potable spécifique aux zones rurales difficiles d’accès, dont 6% d’entre elles ne sont encore pas approvisionnées en eau.
Le troisième axe de notre stratégie d’action consiste à assurer la transition numérique de la société, en mettant en place un nouveau système informatique moderne, en numérisant notre carte réseau pour toutes les régions de la République et en instaurant un système numérique de maintenance. Nous avons jusque-là numérisé 80% de notre réseau.
Le quatrième axe de la stratégie, c’est la transition énergétique qui vise à accroître l’efficacité énergétique de la société en équipant toutes les stations de pompage, de dessalement et de traitement des unités de recyclage de l’énergie électrique.
Nous avons, par ailleurs, lancé, depuis trois ans, un audit énergétique de toutes nos stations de pompage, de dessalement et de traitement.
S’agissant des énergies renouvelables, nous avons mis en place une station solaire pour faire fonctionner la station de dessalement de Ben Guerdane. Nous avons, en outre, un programme d’utilisation des énergies renouvelables dans toutes les stations de dessalement.
Avez-vous mobilisé les financements nécessaires pour tous les projets que vous avez évoqués ?
Le coût du plan quinquennal (2021-2025) s’élève à 3,8 milliards de dinars, et nous comptons sur l’appui de nos partenaires parmi les bailleurs de fonds, à l’instar de l’Agence française de développement, pour nous octroyer des crédits pour la réalisation de nos projets.
La société bénéficie depuis 52 ans de la confiance de tous les bailleurs de fonds grâce à sa solvabilité et son efficacité en matière de grands projets.