Syndicats, gouvernement et bailleurs de fonds rivalisent en zèle pour plaider beaucoup plus pour le maintien et la transformation des entreprises publiques que pour leur privatisation. Avec cet engagement tripartite, le débat, qui a prévalu quatre décennies durant, sur la cession d’entreprises publiques déficitaires vient de prendre un tournant historique.
Abou SARRA
La déclaration la plus récente faite en public dans ce sens est celle de chef du gouvernement, Hichem Mechichi, lors de la signature, le 7 février 2021, d’un accord avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) pour l’activation de 47 accords sectoriels en suspens dans le secteur public.
Le gouvernement accepte de maintenir les entreprises publiques
Hichem Mechichi a indiqué, à cette occasion, que « le gouvernement est l’un des plus grands défenseurs du secteur public », annonçant au passage qu’il va bientôt entamer une série de discussions pour trouver la meilleure formule pour faire face aux situations des institutions publiques et des établissements publics.
Apportant de l’eau au moulin du CDG, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, qui répétait pourtant à gorge déployée au cours des dernières années que la privatisation des entreprises publiques est une ligne rouge qu’il ne faudrait jamais dépasser, a « démenti l’orientation du gouvernement vers la privatisation de certaines institutions publiques ». Une déclaration qui vient certes blanchir le gouvernement, mais l’engager, aussi, à ne plus brandir la carte de la privatisation.
Côté bailleurs de fonds, Tony Verheijen, représentant-résident de la Banque mondiale (BM), relève, dans plusieurs entretiens accordés à des médias tunisiens, qu’au sein de son institution «on ne parle pas de privatisation, mais de transformation des entreprises publiques. L’ultime objectif étant de faire en sorte qu’elles opèrent dans une mentalité commerciale».
Les remèdes proposés pour la restructuration
Au rayon des solutions à suivre pour restructurer les entreprises publiques, la centrale syndicale, par la voix de son secrétaire général (Taboubi), est plutôt favorable à “la restructuration économique, sociale et législative de ces institutions“. L’UGTT est ouverte au processus de réforme pour maintenir la viabilité de l’entreprise publique et pour qu’elle ait la capacité de fournir différents services, d’autant plus que la pandémie du coronavirus a prouvé l’importance des institutions publiques qui étaient le principal refuge des citoyens, a-t-il dit.
Pour sa part, Mechichi a fait état de « la volonté du gouvernement de mettre en place des mécanismes de réforme des entreprises et établissements publics, des mécanismes devant développer leurs performances et retrouver leurs positions ».
Pour les bailleurs de fonds, il s’agit d’agir sur la gouvernance, c’est-à-dire introduire dans les entreprises publiques un management efficace et rentable similaire à celui en vigueur dans le secteur privé et de les amener à se recentrer sur leur principal métier, le service public.
Mieux, les bailleurs de fonds ont décidé de mettre la main dans la caisse et d’accorder directement des financements aux entreprises publiques pour les aider à mener à terme leur restructuration.
C’est dans ce contexte que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a décidé de mettre à la disposition de la STEG (Société tunisienne d’électricité et de gaz) un programme de financement de 300 millions d’euros.
« Ce programme permettra à la STEG de mettre en œuvre une feuille de route ambitieuse pour sa réforme et qui ancrera le passage vers une entreprise plus durable et gérée plus efficacement », lit-on dans le communiqué publié lors de la signature de l’accord.
Le non-dit dans ce financement, c’est qu’il permettra à la STEG «de cohabiter avec des opérateurs privés». Les énergies renouvelables sont retenues comme la niche idéale qui favoriserait une telle cohabitation entre la STEG et des développeurs privés.
Moralité de l’histoire : la réforme de la STEG aurait valeur de test et de symbole. Une fois achevée, elle serait un exemple à suivre pour les autres entreprises publiques.
Espérons que cette fois-ci sera la bonne, car, rappelons-le, des bailleurs de fonds avaient accordé, auparavant, à la Tunisie des fonds dédiés à la restructuration des entreprises publiques, mais ces fonds ont été détournés par le gouvernement tunisien pour servir d’autres fins.
D’ailleurs, Tony Verheijen n’a pas caché, à maintes reprises, sa déception du gouvernement tunisien de voir «… les efforts qui ont été déployés dans des actions de la BM dans les appuis budgétaires pour soutenir la réforme des entreprises publiques n’aient pas réussi, et on a aujourd’hui une situation de quasi-échec».
Abstraction faite de cet engagement à restructurer des entreprises publiques agonisantes qui traînent un déficit de plusieurs milliards de dinars (on évoque le chiffre de 7 milliards de dinars), le véritable enjeu réside dans la lutte contre la corruption qui y prévaut, dans la détermination à casser les monopoles qu’elles exercent sur certains secteurs et dans leur mise en concurrence avec les entreprises privées.
Quoi qu’il en soit, l’abandon de l’idée de la privatisation des entreprises publiques constitue, à notre avis, une avancée majeure qui pourrait renforcer la paix sociale et responsabiliser, sur un pied d’égalité, gouvernement, syndicats et bailleurs de fonds. L’obligation des résultats sera désormais le mot d’ordre et la finalité des entreprises publiques.