La Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et le Groupe chimique tunisien (GCT), qui ont fait la pluie et le beau temps au temps de Bourguiba et de Ben Ali, vont devoir désormais rendre des comptes sur des abus qu’ils ont commis en matière de pollution de l’environnement.
Abou SARRA
En effet, un jour ou l’autre, ils seront dans l’obligation d’investir pour transférer leurs usines en dehors des villes affectées par leur pollution, à savoir les rejets nocifs des lavoirs de phosphate et les rejets du phosphogypse par les usines de sa transformation.
Ceci étant, un tel scénario paraît impossible pour le moment en raison des difficultés financières que connaissent les deux entreprises.
La CPG et le GCT rattrapés par l’histoire
A défaut d’une vision futuriste respectueuse de l’environnement six décennies durant, les deux entreprises polluantes sont, en quelque sorte, rattrapées par l’histoire. Et pour cause. Elles font face, aujourd’hui, à une très forte demande sociale pour un environnement sain, particulièrement dans le bassin minier.
Sous la pression de populations qui revendiquent désormais leur droit à un cadre de vie acceptable, des conseils municipaux élus démocratiquement (en 2018) exigent des deux entreprises d’adapter leurs sites de production aux normes internationales, et de dédommager, au passage et à terme, les villes et sites pollués.
Dans une première étape, ces conseils municipaux ont commencé par intenter des procès contre les deux entreprises pour différentes irrégularités. Deux cas méritent qu’on s’y attarde.
M’Dhilla exige des réparations
Le premier concerne la municipalité de la ville de M’Dhilla. Cette cité abrite deux usines de transformation de phosphate appartenant au Groupe chimique tunisien (GCT). L’une opérationnelle depuis 1984, la seconde s’apprête à entrer en fonction.
Le Conseil municipal de cette ville a appréhendé le GCT pour avoir construit ses deux usines sans avoir les autorisations requises de la mairie pour les construire. Et lorsque le GCT a reconnu son erreur et voulu régulariser sa situation en formulant de nouvelles demandes pour obtenir les agréments, ses demandes ont été rejetées par les conseillers municipaux de M’Dhilla. Ceci pourrait s’apparenter à une sorte de prise de conscience citoyenne pour un environnement sain.
Selon le maire de cette ville, Hafedh Henchiri, le GCT a été épinglé pour d’autres abus. Il s’agit, entre autres, de sa tendance à exploiter excessivement la nappe souterraine (400 mètres cubes par heure) et à refuser l’utilisation des eaux usées épurées de la station d’assainissement d’Akila dans la délégation de Gafsa-sud.
Le GCT est également accusé par la municipalité de M’Dhilla pour d’autres dépassements, dont l’exploitation d’un terrain municipal pour ériger un mur de clôture.
Dan cette affaire, le conseil municipal de la ville est soutenu par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Ce dernier suggère une enquête indépendante pour déterminer la responsabilité du GCT dans la pollution de cette ville.
A terme, le conseil municipal de M’Dhilla se propose, à travers le procès qu’il a intenté contre le GCT, de pousser cette entreprise à investir dans la ville au nom de la Responsabilité sociétale de l’entreprise (RES). C’est-à-dire la prise en charge, du moins en partie, des préoccupations sociales et environnementales.
Concrètement, il s’agit de réaménager la ville, d’aménager des espaces verts et de créer des emplois pour les chômeurs de la Cité.
La mairie de Hamma Djerid intente un procès contre la CPG
Le deuxième cas concerne la ville de Hamma Djerid (gouvernorat de Tozeur). Le Conseil municipal de cette cité lui aussi a intenté un procès, cette fois-ci, contre la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). En cause : la pollution générée par les rejets nocifs des lavoirs de phosphate de la Compagnie dans l’oued Gouifla et les dommages causés au cheptel du village Chamkou, particulièrement aux camélidés.
Selon le maire de Hamma Djerid, Béchir Soula, les dégâts qui se sont accumulés par l’effet de ces rejets dangereux sont, aujourd’hui, visibles à l’œil nu. Il s’agit de résidus de métaux lourds (plomb, cuivre …).
Il a ajouté que la mairie, forte de l’appui de la société civile de tout le gouvernorat de Tozeur, va, dans une première étape, se faire aider par des experts pour évaluer le degré de pollution de l’eau et du sol, et demander, dans une seconde étape, des dommages et intérêts, voire une compensation financière de la Compagnie en contrepartie des dégâts subis par le village et le cheptel.
Abstraction faite de ces deux cas cités à titre indicatif, cette aversion pour le phosphate et pour ses rejets a tendance à s’ériger en véritable front de refus de toute industrie polluante dans le bassin minier et dans des régions voisines.
Cette non acceptabilité environnementale, qui tend à s’amplifier, vient illustrer, dans tout le bassin minier et dans les zones de transformation de phosphate, une forte demande sociale pour une meilleure qualité de vie, pour un environnement sain et pour une gestion inclusive des ressources naturelles lorsque leur exploitation devient nécessaire.