La PDG de Tunisair vient d’être limogée pour n’avoir pas observé l’obligation de réserve, selon Moez Chakchouk, ministre du Transport et de la Logistique. Il faut reconnaître qu’elle n’a pas arrêté de commettre erreur sur erreur. La compagnie battant pavillon national traverse d’immenses difficultés depuis 2011, difficultés aggravées par la pandémie Covid-19 et a du mal à redécoller.
Elle peine aussi à trouver un dirigeant capable de la mener à bon “aéroport“. Pour Moez Chakchouk, on ne peut plus parler de restructuration s’agissant de Tunisair, il faut commencer par un plan sauvetage. Entretien.
WMC : Cela fait des années que syndicats et représentants du gouvernement parlent de la restructuration de Tunisair, qu’en est-il aujourd’hui ? Toutes les propositions et les plans seraient-elles déraisonnables ?
Moez Chakchouk : Nous ne pouvons plus parler aujourd’hui de restructuration s’agissant de Tunisair, ce qu’il nous faut c’est un sauvetage. Les syndicats sont à fond dans la logique du dialogue, et nous saluons cette attitude positive. Ils sont partants pour le sauvetage de la compagnie.
Puisque les syndicats sont réceptifs, qu’est-ce qui empêche la restructuration de Tunisair ?
Nous avons étudié les différents plans de restructuration. Vous savez, un plan de restructuration implique un business plan de développement stratégique. Dans notre cas, restructurer c’est bien, mais investir est mieux. Et qu’allons-nous investir ?
Le blocage des investissements n’est évidemment pas lié aux dettes de Tunisair. Lorsque nous travaillons, nous produisons et nous réalisons des gains, les dettes peuvent être échelonnées, et ce aussi bien avec l’OACA qui nous doit 1 milliard de dinars depuis 2015, qu’avec les autres.
Qu’en est-il de l’augmentation du capital via de nouveaux actionnaires ou l’augmentation des parts de ceux déjà présents ?
On parle souvent de l’augmentation du capital de la compagnie, pour parer aux déséquilibres financiers, mais il est prématuré d’en parler. Comment procéder à une augmentation du capital alors que nous n’avons pas effectué l’évaluation de ce capital ? Nous avons des actifs dans le monde que nous pouvons mobiliser mais qui ne sont pas comptabilisés.
Aujourd’hui le capital de Tunisair ne reflète pas sa véritable valeur. Par conséquent, nous ne pouvons pas engager des opérations de vente des actions ou nous engager dans l’intégration d’un autre capital. La seule action possible est l’injection par l’Etat de fonds dans le capital, ce qui élèverait sa participation à plus de 60%. Et nous pouvons le faire à travers la Bourse, ce qui nous permettra de restructurer la compagnie.
Reste qu’il est prématuré aujourd’hui d’en parler car nous n’avons pas encore un schéma pour l’augmentation du capital. Nous sommes dans un schéma critique.
En parlant d’actifs, les biens de Tunisair à l’international sont importants, paraît-il, et la compagnie dispose de nombre de représentations à l’étranger ?
Nous en avons supprimé 50%, à titre d’exemple en Italie, nous avons éliminé celle de Rome et nous avons gardé celle de Milan. Nos représentations sont logées dans des locaux qui drainent de l’argent. Il faut savoir que les biens de Tunisair de par le monde et notamment en Europe sont importants ce qui pourrait représenter des rentrées importantes de fonds. Comme je vous l’ai déjà précisé, le capital de Tunisair ne reflète pas ses assets.
Le charter a détruit Tunisair, apprenons à voir grand. La Tunisie mérite une compagnie nationale prémium
Quelles sont vos priorités à partir de ces constats ?
Il faut s’attaquer à la stratégie commerciale. Tunisair n’est pas une compagnie charter. Le charter a détruit Tunisair, apprenons à voir grand. La Tunisie mérite une compagnie nationale prémium. Arrêtons de traiter les Tunisiens comme s’ils valaient une compagnie indigne. Tunisair était un fleuron en Afrique et dans la région arabe, rendons-lui ses lettres de noblesses et commençons par lui redonner la dimension d’une compagnie de dessertes régulières.
Nous avons une compagnie qui s’appelle Tunisair Express que nous pouvons transformer en une compagnie charter et qui peut opérer pour le tourisme de masse sur la Tchéquie, la Pologne, l’Ukraine et d’autres destinations. Par contre, que notre Tunisair soit une compagnie prémium sur les Tunis-Paris, Tunis-Frankfort, Tunis-Abidjan, Tunis-Pékin, Tunis-Kuala Lumpur, Tunis-Doha, Tunis-Milan, etc. Il faut qu’elle continue à faire des vols réguliers prémium, soit un vol par semaine avec des prestations parfaites, en optimisant, c’est mieux que de vendre à perte.
Une compagnie charter peut même faire le vol Toulouse/Gafsa qui est sollicité par nos concitoyens, elle peut faire Paris/Sfax, c’est du low cost. Pourquoi Air France ne se pose pas à Sfax ? C’est parce que Transavia peut le faire. Il y a ceux qui choisissent le prémium parce qu’ils ont les moyens, et ceux dont les moyens sont modestes qui choisissent le low cost. Chacun selon ses moyens.
Il ne faut pas que le charter dégrade la qualité de service de la compagnie ; le charter tue la qualité parce qu’on travaille sur la quantité.
Nous y pensons sérieusement, lancer le fret figure parmi nos priorités via Tunisair Cargo
Qu’en est-il du rôle économique de Tunisair et de l’activité fret ?
Nous y pensons sérieusement, lancer le fret figure parmi nos priorités via Tunisair Cargo. C’est la compagnie qui louera des avions chez Tunisair, comme Tunisair Express en louera également pour assurer les vols charters avec un nouveau branding. Nous transformerons un ou deux appareils de Tunisair en appareils cargo pour Tunisair Cargo.
Nous avons déjà transformé un des ATR de Tunisair Express, et nous ferons de même avec un Boeing ou un Airbus. Ces avions serviront à l’exportation des agrumes, des légumes frais et de toutes sortes de marchandises vers des destinations comme les pays du Golfe, l’Afrique, la Russie. Notre objectif maintenant est de créer une offre fret Tunisair.
Notre premier chantier aujourd’hui est celui de la réparation des avions et l’amélioration de l’infrastructure
Et vous comptez démarrer quand ces projets ?
Nous pouvons démarrer dès maintenant, mais prudemment. Notre premier chantier aujourd’hui est celui de la réparation des avions et l’amélioration de l’infrastructure. Il y a aussi le défi du retour des Tunisiens de l’étranger prévu à partir du mois de juin, et c’est l’occasion de drainer le chiffre d’affaires et d’augmenter les revenus.
les réservations actuelles ont atteint le niveau de 2019 pour la CTN
Maintenant nous avons moins de 4 mois pour appliquer le plan de sauvetage, notamment pour assurer comme il se doit le retour des tunisiens résidents à l’étranger. Il faut préparer la flotte, entre 14 et 17 avions que nous n’avons pas aujourd’hui. Nous espérons qu’avec le vaccin, notre diaspora rentrera. Nous le savons parce que nous avons un indicateur : les réservations actuelles ont atteint le niveau de 2019 pour la CTN. Donc, il faut que Tunisair soit bien préparée pour la saison estivale et la relance.
on ne peut pas lancer un plan de réduction du personnel dans un chantier où il y a le feu
Vous devez également gérer le chantier des départs à la retraite anticipée de plusieurs agents, ce qui était prévu dans nombre de plans de restructuration même si vous préférez le terme sauvetage, non ?
Pour nous, ce n’est ni une priorité ni une urgence. Ce genre de plan doit se faire calmement, on ne peut pas lancer un plan de réduction du personnel dans un chantier où il y a le feu. Nous y procéderons dans le calme et la sérénité.
Maintenant, nous nous attaquons à la préparation de la saison estivale, après, nous lançons la stratégie business Tunisair et l’assainissement commercial, en éliminant ce qui n’est pas rentable, dont les vols à perte. Pour moi, le principe est de renforcer le rentable et d’éliminer le non rentable. Le plan d’assainissement touchera des filiales bien déterminées, mais pas du tout la maison mère Tunisair.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali