Les transports influent sur toutes les facettes de l’économie, qu’il s’agisse de la mobilité de la main-d’œuvre, de la fluidité et de la rapidité des échanges des biens et des services, ou du développement du commerce à l’international. Qu’il s’agisse d’industrie, du commerce ou de l’agriculture, rien ne peut réussir sans une infrastructure de qualité et des moyens de transport performants.
Décisif dans tout développement socioéconomique, le transport œuvre aux gains de compétitivité des pays. Force est toutefois de constater qu’en Tunisie, la chaîne logistique, les transports en premier, est loin d’être optimale.
Le point avec Moez Chakchouk, ministre du Transport et de la Logistique.
WMC : Comment assurer une relance économique alors que nous avons des problèmes structurels dans le secteur du transport ? Je pointe du doigt les ports, notamment celui névralgique de Radès, dont les services ne sont pas encore digitalisés, et avec une STAM (Société tunisienne d’acconage et de manutention) dont la seule « performance » est le nombre insensé des employés.
Moez Chakchouk : Commençons par le port de Radès. Votre constat est véridique, même s’il faut nuancer et relativiser. Tout d’abord, dans ce sombre tableau que vous venez de brosser, il y a tout de même de bonnes opportunités. Je citerais celle du projet Millenium Challenge Corporation (MCC) que nous menons avec nos partenaires américains. Il s’agit d’un don de près de 300 millions de dollars pour financer et construire les quais 8 et 9 du port de Radès.
Je précise que la décision pour la réalisation de ces quais a été prise il y a longtemps, mais nous n’avions pas trouvé les financements nécessaires, et les appels d’offres sont tombés à l’eau à cause, en prime, du contexte économique et social du pays.
Une partie du montant qui nous a été alloué servira à aménager 20 hectares pour étoffer la zone logistique du port de Radès et à restructurer la STAM.
Nous réfléchissons sérieusement à introduire un partenaire stratégique pour la gestion des ports à conteneurs. Nous avons finalisé les négociations avec MCC ; la réalisation démarrera cette année.
Est-ce à dire que la STAM n’aura plus le monopole de l’acconage ?
La STAM a toujours eu le monopole de la gestion du port de Radès, mais elle souffre de nombreux problèmes, ses équipements sont vétustes et ne répondent plus aux standards internationaux. Elle a besoin de restructuration.
Nous consacrerons près de 60 millions de dinars à son assainissement – une partie pour la réforme et une autre pour la formation et le renforcement des capacités des personnels. La nouveauté sera l’introduction d’un nouvel opérateur pour gérer les conteneurs et diminuer la pression sur la STAM. Il s’agit d’un groupement public/privé en partenariat avec la STAM de cogestion du terminal à conteneurs.
La partie secteur privé peut être un consortium d’opérateurs ou un partenaire stratégique national ou international. Nos rapports avec les syndicats sont cordiaux, ce qui facilitera le changement ambitionné.
Le système TOS fera du port de Radès une plateforme développée en services portuaires et logistiques
Juste pour rappel, à notre arrivée au mois de septembre 2020, la STAM opérait un conteneur par heure, aujourd’hui, c’est une moyenne de 10 conteneurs par heure.
La digitalisation est également en cours. Le process a été entamé du temps du gouvernement Chahed. Le système TOS fera du port de Radès une plateforme développée en services portuaires et logistiques et permettra aux clients de connaître l’heure d’arrivée du conteneur et d’effectuer les paiements à distance.
Nous sommes en avance dans sa mise en place, reste que pour être opérationnels, il faut intégrer les douanes, les armateurs et toute la chaîne logistique portuaire. Aujourd’hui, nous pouvons assurer la traçabilité, et si on cherche un conteneur, les différents paramètres inclus dans le système nous donnent avec précision l’heure d’arrivée, l’identité, le lieu de stockage du conteneur, le contenant et le contenu. Ce qui urge aujourd’hui c’est l’intégration totale du système.
Un seul port pour assurer le trafic de et vers la Tunisie reste insuffisant. Les industriels s’en plaignent et les exportateurs considèrent que ceci porte atteinte à la compétitivité du site. Avez-vous de solutions ?
Vrai. Le port de Radès supporte un poids qui dépasse ses capacités, les deux quais 8 et 9 permettront de réorganiser le port pour qu’on ait un terminal consacré au trafic des remorques. Le terminal 1 sera destiné aux rouliers (ro-ro). Ce sont des navires utilisés pour transporter des véhicules. Le terminal 2 sera affecté aux conteneurs.
Donc, vous voyez c’est une réorganisation très importante à réaliser et qui a déjà été amorcée. Le dialogue continu avec la douane, les polices et tous les acteurs du port pour le rendre plus performant. Nous sommes convaincus qu’avec toutes les mesures de restructuration, d’investissement, de réorganisation, d’ouverture de la zone logistique de Radès, les 20 hectares qui existent et qui n’ont jamais été exploités convenablement et l’ouverture d’un nouvel accès sur l’autoroute, le port de Radès deviendra plus fluide et les opérations y seront plus rapides.
Les opportunités d’investissements et d’extension des ports tunisiens sont intéressantes. Nous sommes déjà sur un dossier de PP pour le port Menzel Bourguiba.
Les temps sont également venus pour investir dans d’autres ports. Le port de Bizerte possède un potentiel énorme, mais manque de terrain. Au port de Bizerte- Menzel Bourguiba, les espaces sont très exigus mais il y a un potentiel d’extension pour introduire les ro-ro, déplacer les conteneurs, réorganiser les terminaux et créer un quai pour les clinkers, ciment et moderniser les quais pour les produits pétrolier.
Toutes ces opportunités d’investissements et d’extension sont intéressantes, et nous sommes déjà sur un dossier de partenariat public/privé pour la partie du port Menzel Bourguiba.
Le port de Bizerte offre des opportunités énormes et en plus il y a la marina. Donc, nous parlons là de la possibilité d’aménager un très beau port de plaisance. Seul inconvénient : l’insuffisance de la surface nécessaire à l’activité du port. La STIR occupe la majorité des terrains disponibles, donc il faut créer une zone logistique éloignée du port en prenant en compte l’emplacement des chemins de fer implanté d’un seul côté.
Pour nous, le développement des ports, leur exploitation et leur aménagement pourraient réussir et profiter au pays via le partenariat public/privé. Je cite les ports de Zarzis, Sousse et le port d’Enfidha.
Le port d’Enfidha, dont on parle beaucoup depuis plus de 15 ans mais pour nous autres Tunisiens, est une chimère, sera-t-il réalisé un jour ?
La réalisation du port en eaux profondes d’Enfidha souffre de beaucoup de retard, c’est réel, mais nous n’allons pas jusqu’à le désigner par chimère. Aujourd’hui, les opportunités sont là, il y a des constructeurs internationaux qui sont en train de faire les études : des Turcs, des Chinois, des Américains, des Français et d’autres. Ils sont sérieux et réputés pour leur haute expertise dans l’exploitation et la gestion portuaire. Parmi les six qui ont manifesté leurs intérêts, trois sont sur le terrain pour l’investigation et la collecte des données. Le partenariat se fera via le financement de l’Etat d’une partie des travaux et l’investissement de l’opérateur qui exploitera le port.
Le port d’Enfidha associé à l’aéroport offre des opportunités uniques dans notre région
Le port d’Enfidha offre une grande opportunité pour tout investisseur, il est entouré de 2 000 hectares pour l’aménagement d’une zone logistique d’envergure, de dimension méditerranéenne et carrément mondiale. L’opérateur sélectionné ne peut être qu’un géant d’autant plus que le port associé à l’aéroport offre des opportunités uniques dans notre région. Il s’agit d’une immense plateforme aéroportuaire. Il sera le projet phare des prochaines années.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali