La Tunisie a perdu assez de temps pour implémenter des réformes incontournables. Le statu quo, l’hésitation, la main tremblante sont dévastateurs, alerte l’économiste Moez Labidi dans un billet économique publié par l’intermédiaire en Bourse MAC SA, où il revient sur les fragilités structurelles de l’économie tunisienne dévoilées par la crise sanitaire et appelle à repenser le service public, pour remettre le pays sur les bons rails.
Les “bienfaits” de la Covid-19
“La crise de la Covid-19 a révélé les défaillances de nos services publics. Des défaillances qui résultent à la fois d’un déficit de gouvernance, d’une mauvaise politique de valorisation des compétences, d’une incapacité à faire respecter la loi et d’une présence syndicale étouffante pour toute initiative de réforme structurelle” souligne-t-il.
Et d’enchaîner “la Tunisie a besoin, plus que jamais, d’un service public de qualité pour une meilleure efficacité dans la gestion des crises sanitaires aujourd’hui, et à la fois climatiques et sanitaires, sûrement demain. Or un tel service nécessite une meilleure qualité du travail, de la fermeté dans l’application de la loi et une politique de rémunération valorisante et attractive pour les compétences “.
“Il est temps de réfléchir sur les dégâts occasionnés par la culture du blocage de l’activité productive dans les fleurons de l’économie tunisienne (bassin minier en tête) et dans le secteur public avec l’avalanche de grèves, souvent payées (administration, entreprises publiques), et les dommages collatéraux qui en résultent en termes de dégradation du pouvoir d’achat, suite aux “flux migratoires” des familles tunisiennes en direction du privé (santé, éducation…), du manque d’attractivité du site Tunisie, de l’inefficacité de l’appareil de recouvrement fiscal, de la montée de la corruption”, estime-t-il.
“L’urgence n’est pas de basculer dans un nouveau modèle de développement, comme le laisse entendre certains discours imbibés de rhétorique populiste. Le nouveau modèle de développement ne pourrait pas atterrir dans une économie où les finances publiques sont sous pressions, et l’Etat peine à faire respecter la loi. Il ne pourra pas émerger avec des réformes cosmétiques”.
Labidi considère que “le modèle de développement est le fruit d’une dynamique de réformes vertueuses en deux temps.
Tout d’abord, un assainissement en profondeur des finances publiques, qui permettra l’élargissement du “fiscal space”, et une intervention publique musclée, pour soutenir les entreprises et éviter le risque de faillite pour les plus fragiles d’entre elles, et la préservation d’un pouvoir d’achat décent pour les ménages lourdement affectés par le confinement.
De même, cet élargissement permettra de renouer avec une dynamique de désendettement, renforçant ainsi les marges de manœuvre de l’action publique.
Assainissement des finances publiques
Ensuite, l’assainissement des finances publiques offre la possibilité aux autorités de mobiliser plus de fonds pour les dépenses d’investissement, au profit des grandes réformes structurelles, avec le concours du secteur privé (PPP) pour certains projets. Or, une telle dynamique ne pourrait pas se déclencher dans un contexte miné par la montée des incertitudes “.
Toujours selon lui, “l’année 2021 sera l’année des incertitudes. La montée de la fièvre revendicative sous ses différentes variantes (syndicale, régionale, diplômés chômeurs, ..), les contraintes qui pèsent sur le financement externe (un besoin de l’équivalant de 13 Mds de dinars en devises pour le budget 2021) , la “qualité” du nouvel accord avec le FMI après deux programmes inachevés, et le retard qui sera enregistré dans le processus de vaccination, dans un contexte marqué par la progression de la pandémie, vont continuer de miner le climat social, et précipiter les reculades successives des autorités, mettant davantage de pressions sur les finances publiques”.
Une économie créative et résiliente, c’est possible
Labidi pense toutefois qu'” une économie créative et résiliente est toujours possible “, mais ” ce n’est pas avec un Etat faible, une tchernobilisation du climat des affaires par la cacophonie politique, une méfiance des citoyens à l’égard des institutions et une montée du populisme qui gangrène le discours politique, que nous pourrons espérer rehausser la qualité du service public, redémarrer la croissance économique et retrouver une économie résiliente et créative”.
Il pense qu’une économie résiliente et créative repose principalement :
– du côté des ménages, sur la confiance en l’avenir et la culture du travail. Une confiance qui se nourrit à la fois du partage équitable du coût des réformes, et de la capacité du décideur à intégrer dans ses orientations politiques les défis à relever pour la Tunisie de demain. Les ménages doivent être imprégnés par la culture de la discipline et de la productivité plutôt que de celle de la contestation et du blocage des unités de production;
– du côté du monde des affaires, sur une Entreprise plus innovante, plus numérique, plus citoyenne ;
– du côté des politiques publiques, sur un Etat fort, stratège, facilitateur, détenteur d’une vision et audacieux pour réformer. Un Etat qui pense à moyen et à long terme: fortement engagé dans la transition écologique et digitale. Mais aussi un Etat très réactif à court terme: constamment en veille pour ancrer son dispositif réglementaire aux standards internationaux.