Le constat est édifiant. Les gouvernements tunisiens ont perdu, ces dernières années, toute crédibilité, non seulement auprès de leurs citoyens mais également auprès de leurs partenaires et bailleurs de fonds. A l’origine de ce discrédit, la polyarchie du pouvoir en place, l’immobilisme et la tendance de ces pseudo-gouvernants à ne pas engager un plan de réformes structurelles viable.
Abou SARRA
Pour les Tunisiens moyens et démunis, appauvris systématiquement depuis l’arrivée en 2011 de l’islam politique, n’arrivent pas à se débarrasser, légalement, de l’équipe au pouvoir.
Cette équipe a accédé au pouvoir à la faveur de l’argent sale, de l’achat des consciences et d’une loi électorale confectionnée sur mesure pour préserver leurs intérêts. C’est du moins ce que semblent indiquer les conclusions du rapport de la Cour des comptes sur les élections générales de 2019.
Par l’effet de la guerre qui prévaut à la tête du pouvoir entre petits chefs qui paralysent toute réforme et ne se soucient que de leurs petits intérêts, ces mêmes Tunisiens s’inquiètent de connaître les scénarios grec et libanais avec pour corollaire l’aggravation de leur situation déjà précaire (réduction de leur pouvoir d’achat et de leurs salaires).
L’avènement de la pandémie du coronavirus a compliqué cette situation dans la mesure où elle a impacté gravement les personnes vulnérables et les plus démunis parmi les jeunes et les femmes qui travaillent principalement dans l’informel.
Conséquence : l’incompétence des gouvernants et la pandémie se sont associées pour faire grimper le taux de pauvreté du pays à 21%. « Un taux qui n’a pas été enregistré depuis l’indépendance », selon le vice-président de la Banque mondiale en charge de la région MENA, Férid Belhaj.
Pis, calculé selon les critères monétaristes des institutions de Bretton Woods – est pauvre celui qui dispose de 2 dollars par jour pour survivre -, ce taux serait bien supérieur, soit environ 30% de la population active, si on l’évaluait selon les critères de misère humaine du PNUD –non accès aux prestations publiques minimales (éducation, santé, transport…).
Les bailleurs de fonds n’ont plus confiance…
Pour leur part, les bailleurs de fonds, en leur qualité d’observateurs avisés et bien informés de la situation politique et macro-économique en Tunisie, ont attiré l’attention des gouvernements tunisiens sur la gravité de la situation et l’ont mis en garde à maintes reprises contre ses dérapages répétés. Mais en vain.
Depuis 2020, ils ont transcendé le stade des admonestations et ont accentué la pression sur les gouvernements en place pour qu’ils entament, en urgence, les réformes souhaitées.
Il s’agit principalement du ciblage de la compensation, de la transformation des entreprises publiques, de la révision de la fiscalité, de la maîtrise des dépenses publiques, de la diminution de la masse salariale, de la lutte contre la corruption…
A titre indicatif, pour convaincre les officiels tunisiens de sa détermination, le Fonds monétaire international (FMI) a décidé, fin décembre 2019, à défaut d’avancement suffisamment rapide du programme et des réformes économiques convenus, de suspendre la dernière tranche estimée à 1,2 milliard de dollars du crédit (sur une enveloppe de 2,9 milliards de dollars) accordé, fin mai 2016, à la Tunisie au titre du Mécanisme Élargi de Crédit.
Une année après, le FMI a mis à profit la mission annuelle du Fonds dans le cadre de la consultation de 2020 au titre de l’article IV avec la Tunisie (du 9 au 18 décembre 2020 et du 4 au 13 janvier 2021), pour mettre plus de pression sur le gouvernement tunisien.
En prévision de futures négociations, le FMI, par la voix du chef de la mission précitée, Chris Geiregat a adressé un message clair aux autorités tunisiennes. Il a exigé une feuille de route avec des engagements, un échéancier précis et des mesures concrètes. Il a mis l’accent sur l’impératif de réduire les déséquilibres budgétaires et extérieurs et, surtout, d’engager un plan de réforme «crédible» et «clair» pour régler la question de la dette publique.
«Ce plan doit bénéficier d’un large consensus», insiste le FMI, soulignant qu’un tel «pacte social» est de nature à couvrir la masse salariale de la fonction publique, «actuellement parmi les plus élevées au monde».
Et le FMI d’ajouter : «ce pacte pourrait apporter une réponse au rôle des entreprises publiques dans l’économie, faciliter la mise en œuvre des réformes, de lutte contre la corruption et d’amélioration du climat des affaires, instaurer une équité fiscale et lutter contre le secteur informel».
Deux mois après, en visite en Tunisie, le 15 mars 2021, le vice-président de la Banque mondiale en charge de la zone MENA, le Tunisien Férid Belhaj a été encore plus clair : il a annoncé au terme d’intenses entretiens avec le leadership tunisien que «la Banque mondiale n’accordera plus de soutien budgétaire à la Tunisie tant que le programme des réformes n’a pas été entamé de manière concrète …».
Les bailleurs de fonds ne financeront que des programmes consensuels
Mieux, connaissant bien le pays, Férid Belhaj est parvenu à encourager syndicalistes (UGTT) et patrons (UTICA) à discuter et à adopter, en l’espace d’une semaine (durée de son séjour à Tunis), un programme de sauvetage sous la forme d’un «pacte national».
Pour sa part, le gouvernement a décidé de se joindre, quelques jours après la visite du vice-président de la Banque mondiale, à cette dynamique d’élaboration d’un plan de relance économique devant faire l’objet d’un consensus national, comme le souhaitent les bailleurs de fonds.
Dans cet esprit, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a animé à Beit El hikma une série de réunions groupant les think tanks et acteurs économiques du pays. Objectif : dégager une vision claire pour un programme de relance réalisable selon un échéancier bien précis.
Selon nos informations, le programme sectoriel des organisations nationales et le programme macroéconomique du gouvernement seront discutés lors des prochaines assises du FMI et du Groupe de la Banque mondiale, à savoir les réunions du printemps qui se tiendront (du 9 au 11 avril 2021), et les Assemblées annuelles (du 15 au 17 octobre 2021).
La question qui se pose dès lors est de savoir si ces programmes seront suffisants pour épargner à la Tunisie les scénarios grec et libanais.