Ces derniers temps, des lobbies de chasseurs de commissions institutionnels et privés, au service de multinationales d’hydrocarbures implantées en Tunisie, font flèche de tout bois pour ameuter l’opinion publique contre le risque de voir ces mastodontes quitter le pays.
Par Abou SARRA
Au commencement, des expert et médias internationaux et locaux ont préparé le terrain en faisant état de l’intention de l’office italien d’hydrocarbures ENI et la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell de quitter le pays. Ces mêmes médias ont même indiqué que les deux majors seraient à la recherche d’acquéreurs pour leurs intérêts dans le pays.
L’objectif : faire pression
Pour eux, le préjudice serait double. Le premier serait d’aggraver le déficit énergétique du pays qui importe déjà 60 % de ses besoins en hydrocarbures. Pis, par l’effet de l’épuisement naturel des gisements exploités, la production d’hydrocarbures ne cesse de baisser.
Selon, Rania Marzouki, directrice des explorations à la Direction générale des hydrocarbures au ministère de l’Energie et des Mines, « la production nationale des hydrocarbures de la Tunisie est passée de 7 millions de tonnes équivalent pétrole (Tep) en 2010 avec 52 permis, à moins de 4,5 millions de Tep en 2020 avec 23 permis ».
Le second préjudice serait de compromettre l’attractivité du pays pour les futurs investisseurs. D’après Hamed El Materi, expert pétrolier qui s’exprimait dans un entretien avec l’Agence TAP, « lorsque des multinationales, expérimentées et bien informées, appuyées par leurs ambassades et ayant l’écoute des premiers responsables du gouvernement, perdent confiance en le pays, il est bien plus difficile de convaincre les plus petits de venir investir ».
A l’origine de ce désintérêt des multinationales pour la Tunisie, il y a trois raisons : la chute, ces dernières années, du cours du pétrole, puis l’absence de feuille de route pour le secteur des hydrocarbures en Tunisie et enfin les contestations sociales générées par le soulèvement du 14 janvier 2011, cas des sit-in d’El Kamour (Tataouine), de Fawar (Kébili)…
L’ultime objectif de cette campagne serait de faire pression sur les décideurs pour les amener à instituer de nouvelles incitations en faveur du secteur des hydrocarbures, particulièrement en ce qui concerne la reprise des recherches et le renouvellement des réserves.
Leur argumentaire : La Tunisie recèlerait d’un important potentiel d’hydrocarbures à l’extrême sud, dans le Golfe de Gabès et au nord (offshore). Un potentiel qui gagnerait à être exploité pour peu que les conditions favorables à l’investissement soient réunies.
Le ministère dément les fake news
Réagissant à cette campagne catastrophiste, le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines en charge du dossier a rectifié le tir et apporté un certain nombre d’éclairages, lors d’une conférence de presse tenue le 1er avril 2021.
En ce qui concerne l’intention du départ des majors précités, le directeur général des hydrocarbures au ministère de l’Industrie et de l’Energie, Rachid Ben Dali, a démenti formellement cette information avec des petites nuances cependant. Car, pour le cas de l’ENI, il s’agit simplement d’une reconversion. Entendre par-là que le groupe pétrolier italien ENI ne va pas quitter la Tunisie. Dans sa stratégie, elle va cesser, en principe, ses activités d’exploitation de combustibles fossiles pour se reconvertir dans l’investissement dans les énergies propres.
Pour la compagnie anglo-néerlandaise, Shell, il a déclaré que « cette compagnie n’a aucunement l’intention de renoncer à ses activités dans le pays ».
Par-delà de ces rumeurs hyper médiatisées et en apparence malintentionnées sur un éventuel départ des deux multinationales, ENI et Shell, et par-delà les démentis apportés par le ministère de l’Industrie, en l’absence d’un ministre dont la nomination n’est pas encore avalisée par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, il faut se poser la question sur les raisons qui justifient cette campagne.
La première est qu’aucune partie en Tunisie n’est contre le renouvellement du stock national en hydrocarbures, à travers la reprise des recherches. Même si la migration vers les énergies vertes n’est pas pour demain. Pour mémoire, le gouvernement tunisien a prévu d’augmenter la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité à 30% à l’horizon 2030.
Une évidence, cette transition énergétique ne serait visible que vers l’année 2040 avec peut-être 50 à 60% de part dans la consommation globale d’énergie. D’ici là, et même au-delà, les combustibles fossiles ont encore de beaux jours devant eux.
Les enjeux sont ailleurs
Cela pour insinuer que cette campagne truffée de rumeurs, de fake news et de contrevérités, n’aurait pour objectif, du moins à notre avis, que d’attirer l’attention sur le secteur des hydrocarbures, un secteur diabolisé, depuis le 14 janvier 2011, par l’effet de sa non-transparence.
Pour l’histoire, depuis 2011, le secteur de la production pétrolière a été exploité tantôt à des fins électorales – cas de l’ancien président provisoire Moncef Marzouki avec son slogan « Ouinou el Petrole » (où est le pétrole)-, tantôt pour éperonner l’égo des foules – cas de la coalition El Karama qui a axé sa campagne électorale en 2019 pour faire mobiliser les communautés du sud du pays sous prétexte que notre pétrole est volé par les Français.
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Le département en charge du secteur assume toute la responsabilité de cette opacité et surtout de sa tendance à reporter les réformes déterminantes pour l’avenir les combustibles fossiles.
Il s’agit, brièvement, de la révision du code des hydrocarbures laquelle traîne, depuis 2012, de l’étude d’impact environnemental de certaines énergies non-conventionnelles dangereuses dont le gaz de schiste, et surtout l’élaboration d’une vision stratégique claire pour le secteur des hydrocarbures. En somme, les enjeux sont ailleurs.