Grisés par leur victoire aux élections de 2011 et par leur accès, pour la première fois, au pouvoir, les islamistes se sont employés à suspendre et à rejeter toutes les réformes sociales engagées au temps de Ben Ali. Parmi ces réformes, figure celle de la réduction progressive de la compensation. Seulement dix ans après de pouvoir, le constat est catastrophique. La formule proposée par les Frères musulmans de Tunisie pour baisser les subventions n’a abouti à aucun résultat. Au contraire, elle a aggravé la situation.
Abou SARRA
Une chose est sûre : anciens et nouveaux gouvernants sont d’accord sur l’évaluation de la compensation instituée, en Tunisie, depuis 1970, à travers la création, sans textes d’application précis, d’un mécanisme réputé pour être par essence anti-économique, en l’occurrence de la Caisse générale de la compensation (CGC).
Ce flou réglementaire, fruit apparemment d’un choix délibéré du gouvernement Hédi Nouira de l’époque, a permis, depuis et sans aucun discernement, de faire bénéficier d’autres catégories sociales nanties de la subvention de l’Etat.
Un regard d’ensemble sur l’évolution historique de la compensation en Tunisie montre que les récipiendaires des subventions de l’Etat n’ont été que les démunis, comme l’avait laissé entendre la propagande officielle, des décennies durant, car même les riches en ont profité : industriels, concessionnaires automobiles, hôteliers, restaurateurs, biscuitiers, brasseries, pâtissiers, touristes, diplomates, investisseurs étrangers, pays voisins par le canal de la contrebande.
D’après l’Institut national de la statistique (INS), «la part des subventions tirées par les ménages pauvres est estimée seulement à 12% du total des subventions».
La Caisse de compensation, un fardeau budgétaire
Cette politique a eu de lourdes conséquences financières sur le budget de l’Etat. Les experts estiment que le budget de la Caisse a explosé, depuis 2011, à cause de la hausse du prix du baril de pétrole et la dévaluation du dinar. Entre 2011 et 2019, les dépenses de la CGC ont connu une augmentation considérable, passant de 1 milliard de dinars à 4,3 milliards de dinars. Aujourd’hui, la situation est loin d’être rassurante. La CGC est devenue un véritable fardeau pour le gouvernement et surtout pour les bailleurs de fonds.
Ces derniers y perçoivent une source d’iniquité, particulièrement en ce qui concerne la compensation des hydrocarbures qui profitent aux nantis et sont en plus importées en devises.
C’est d’ailleurs sous leur pression que le gouvernement actuel a décidé, enfin, d’entamer, à partir du mois de juillet prochain, une levée progressive de la compensation de certains produits et de remplacer la CGC par un autre mécanisme, celui des transferts monétaires au profit des catégories vulnérables.
Selon nos informations, les réductions toucheront tous les produits compensés et se feront tous les six mois, et ce conformément aux recommandations des bailleurs de fonds.
Nouvelle réforme et retour à la gradualité
Cette option pour la gradualité “courtermiste“ des réductions des subventions constitue un échec flagrant du traitement du dossier de la compensation par les islamistes, depuis 2011. Et pour cause.
En accédant, en 2011, au pouvoir, ils avaient stoppé la réforme engagée, au temps de Ben Ali, pour réduire graduellement la compensation et opté pour le ciblage de la compensation. Ce qui signifie que seuls les pauvres qui le méritent (environ 1,7 million de personnes vivant en dessous du seuil de la pauvreté) devraient en bénéficier.
Interpellé, dimanche 11 avril 2021, par la chaîne privée Tounesna sur la réforme engagée depuis 2004, Afif Chelbi, ancien ministre, a révélé qu’«en vertu d’études menées en 2005-2006, avec la Banque mondiale sur la compensation, le gouvernement s’était engagé à mettre en œuvre un plan pour des augmentations homéopathiques avec l’objectif de baisser la compensation à moins de 1% du PIB à l’horizon 2010 ».
Et l’ancien ministre d’ajouter : « entre 2005 et 2010, le gouvernement est parvenu à effectuer 18 augmentations de prix, tous les 5-6 mois ».
Il a précisé qu’en abandonnant, en 2012, ce processus de réductions, les nouveaux gouvernants ont compromis l’évolution naturelle d’une des plus grandes réformes entamées au temps de Ben Ali.
L’ancien ministre a révélé que l’abandon de la réforme sur la compensation a généré, de 2012 à 2018, un manque à gagner irréversible, pour l’Etat tunisien, de plus de 3 milliards de dinars par an. Dont acte.