Environ 33 pesticides dangereux sont toujours importés par la Tunisie, alors qu’ils sont bannis en Europe, selon un rapport réalisé par l’Association de l’éducation environnementale pour les futures générations (AEEFG), en collaboration avec le Réseau international pour l’élimination des polluants (IPEN), rendu public en 2020.
Ce rapport explique les conséquences de l’utilisation (et des importations) de pesticides extrêmement dangereux en Tunisie, dont certains sont pourtant interdits dans d’autres pays.
En Tunisie, 33 entreprises sont actives dans le secteur des pesticides, 215 matières actives de pesticides sont enregistrées et distribuées sur le marché national sous 493 marques commerciales. Mais les quantités réellement importées ne sont pas connues.
Ainsi, la Tunisie a importé, en 2018, plus de 240 tonnes de pesticides à usage agricole bannis ou bien sévèrement restreints dans l’UE dont 35 000 kilogrammes de cyanamide, selon un rapport de l’ONG suisse PublicEye et Greenpeace sur la liste des pays importateurs des pesticides dangereux de l’UE. Il s’agit d’un engrais azoté utilisé en agriculture mais aussi, comme herbicide ou défoliant (sur la liste tunisienne d’homologation des pesticides, il est cité sous la rubrique divers).
Cet engrais pourrait être irritant et provoquer des vomissements lors de son ingestion. En 2019, une liste de 19 autres pesticides interdits sur le sol européen ont fait pourtant l’objet d’une notification d’exportation à destination des trois pays du Maghreb dont la Tunisie.
Plusieurs pays africains et maghrébins, dont la Tunisie, continuent d’importer ces pesticides à usage essentiellement agricole, révèlent des rapports de PublicEye, Greenpeace-UK et d’autres organisations non gouvernementales internationales, qui qualifient l’exportation de ces pesticides par les pays européens ” d’hypocrisie toxique “.
Manque de transparence
“La Tunisie, à travers le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la pêche, devrait, à l’instar du Maroc, du Soudan et d’autres pays, publier la liste des pesticides importés. En visitant le site web du ministère, le 10 mai 2021, j’ai constaté que la liste des pesticides homologués date de 2017, ce qui révèle une défaillance dans l’actualisation des données à l’ère de la digitalisation “, s’indigne Semia Gharbi, présidente de l’AEEFG, spécialiste en sciences de l’environnement et coordinatrice du Hub regional ” IPEN-MENA/ North Africa “, qui milite pour un avenir sans toxicité.
Et contrairement aux pays de l’UE où la liste des matières actives retirées du marché sont affichées avec tous les détails du retrait, nous ne trouvons pas de démarches similaires faites par le ministère de l’Agriculture, ajoute la spécialise.
“Face au manque de rigueur et de transparence concernant les pesticides bannis de l’UE et leur exportation vers les pays en voie de développement dont la Tunisie, le ministère de l’Agriculture doit agir et même exiger du département de la protection des plantes en charge de l’homologation des pesticides d’être transparent en publiant sur son site web, la liste actualisée des pesticides ainsi que les sociétés importatrices et la liste des pesticides déjà bannis. Il ne faut pas attendre la mise en œuvre de l’engagement de la Commission européenne, à mettre fin à l’exportation de pesticides dangereux interdits dans l’UE”.
Gharbi dénonce, par ailleurs, une politique de “deux poids deux mesures, entre les pays dits développés et le reste du monde”.
L’importation, un choix souverain
L’industrie chimique, tous secteurs confondus, est la quatrième industrie dans l’Union européenne (UE). Cette dernière, deuxième producteur mondial dans ce domaine, renvoie la balle aux pays importateurs. Elle estime que les règles européennes sur les exportations de pesticides interdits sont déjà plus strictes qu’exigé.
D’après PublicEye, une source au sein de la Commission européenne a déclaré qu’une ” interdiction des exportations de l’UE n’amènera pas automatiquement les pays tiers à cesser d’utiliser ces pesticides car ils peuvent en importer d’ailleurs “. Elle estime que ” les convaincre de ne pas utiliser de tels pesticides sera plus efficace”. Cela ferait partie des efforts de diplomatie verte prévus par l’UE.
La réglementation européenne assure que les pays importateurs reçoivent ” une information solide et stable sur les risques de ces substances “, a déclaré un représentant de l’Allemagne cité par PublicEye ” Ils ont la possibilité de décider d’autoriser ou non, l’importation “.
” Puisque l’importation est un choix souverain, la Tunisie gagnerait à opter pour la protection de la santé humaine, Constitution de 2014 oblige, et des agriculteurs en contact direct avec les intrants agricoles, pesticides et engrais. Le pays devrait garantir la transparence, le droit à l’information, et arrêter l’importation des pesticides bannis dans leurs pays d’origine “, commente Gharbi.
Selon des experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des experts de la santé publique, l’utilisation des pesticides hautement dangereux pourrait expliquer en partie la recrudescence constatée en Tunisie de différents cancers, d’après une étude de l’APIA (2015). http://www.apia.com.tn/medias/files/Etude-de-l-encouragement-des-investissements-et-de-developpement-de-production-de-legumes-sous-serres.
Le rapport de l’AEEFG cite, par ailleurs, de nombreuses lacunes dans la gestion des pesticides en Tunisie, le non respect des textes à plusieurs niveaux (commercialisation, stockage, application, résidus, protection, gestion des emballages vides), l’absence de procédures de contrôle post-approbation adéquates et pratiques, l’insuffisance des efforts de sensibilisation et d’encadrement des petits et moyens producteurs et utilisateurs agricoles sur les risques liés aux pesticides et à la protection des cultures, l’existence de marchés parallèles et l’absence d’un système de gestion écologique et rationnel des conteneurs de pesticides vides.