Au regard des dernières statistiques publiées par l’Observatoire national de l’agriculture (ONAGRI) sur son site web, une bonne partie de l’huile d’olive tunisienne -un produit du terroir de grande qualité-, continue à être exportée en vrac.

Abou SARRA

Selon l’ONAGRI, 80% de la production oléicole en Tunisie est exportée en vrac comme un vulgaire breuvage. Sur un total de production de 195 mille tonnes en 2020, seules 27 mille tonnes d’huile d’olive conditionnée ont été exportées, rapportant environ 2 milliards de dinars en devises.

La Tunisie exporte sa production d’huile d’olive à hauteur de 79% vers l’Union européenne, 16% vers les Etats-Unis, 7% vers l’Asie (Japon, Malaisie, Chine, Turquie…) et 2% vers l’Afrique.

Elle exporte l’huile en vrac (80 % de la production),  paradoxalement, vers deux pays concurrents, l’Italie et l’Espagne à un prix compétitif de 5 à 6 euros le litre. Ces derniers utilisent l’huile d’olive tunisienne pour recouper leurs propres huiles avant de les réexporter au prix de 30 dollars et plus, particulièrement aux Etats-Unis, premier marché mondial de l’huile d’olive.

On reprochera aux gouvernements qui se sont succédé  la tête du pays de n’avoir pas mobilisé les investissements nécessaires (publics ou privés) pour conditionner la plus grande partie de l’huile d’olive tunisienne, ce qui aurait permis à l’Etat de disposer de plus de 10 milliards de dinars en devises.

Renseignement pris, il semblerait qu’il existe dans le pays un lobby d’exportateurs en vrac qui, soucieux de préserver ses  intérêts, bloque toute possibilité de développer le conditionnement de l’huile d’olive.

A l’origine de cette moins-value, le lobby des grossistes

L’ancien ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini, avait dénoncé la mainmise de ce lobby sur le secteur dans une interview référence accordée au journal Le Monde (9 juillet 2019).

Il en a parlé en ces termes : « En 2018, la Commission européenne a décidé d’octroyer un quota additionnel de 30 000 tonnes d’huile d’olive, en bouteille, conditionnée. Or il n’y a pas eu, malheureusement, de réponse tunisienne formelle. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker est revenu sur cet épisode lors de sa visite à Tunis en octobre 2018. La vraie raison tient sans doute à ce que des grossistes, dont certains sont des spéculateurs, ne voient pas d’un bon œil ce soutien européen, susceptible de favoriser l’émergence de nouveaux opérateurs tunisiens se lançant dans l’huile d’olive conditionnée made in Tunisia. Pour eux, l’essentiel tient à la préservation de positions non concurrentielles, et qui leur permettent a fortiori d’exporter de l’huile d’olive en vrac ».

Pis, ce même lobby de grossistes est très mal vu par les oléiculteurs du pays et leurs syndicats, l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) et le Syndicat des agriculteurs de Tunisie (Synagri).

Ces derniers accusent ce lobby d’acheter l’huile d’olive à un prix inférieur (4 à 5 dinars) non seulement à son coût de production mais également au prix fixé par l’administration (6 à 7 dinars). Ce lobby exploite, ainsi, la parité du dinar et sa forte dépréciation par rapport à l’euro pour la vendre à des prix compétitifs à l’exportation.

Pour une vision stratégique

C’est que depuis 2002, par l’effet de l’adhésion de la Tunisie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le secteur oléicole a vécu une libéralisation et un désengagement total de l’Etat vis-à-vis de la régulation des prix. C’est cette libéralisation totale qui a permis à ce lobby de faire la pluie et le beau temps dans le secteur.

Morale de l’histoire : compte tenu du fait que les conditionneurs et ces mêmes grossistes n’arrivent pas assurer une valeur ajoutée significative à l’exportation de l’huile d’olive, depuis plus d’une vingtaine d’années de libéralisation du secteur, nous pensons que l’huile d’olive tunisienne, en tant que produit du terroir fortement exporté (7% du total des exportations) et apprécié à l’étranger (distinctions internationales), doit faire l’objet d’une vision hautement stratégique.

Cette vision, qui doit valoriser en priorité le produit en le conditionnant à grande échelle, peut être menée soit par l’Etat, soit dans le cadre du partenariat public/privé (PPP).

L’ultime objectif étant d’imposer ce produit dans les plus gros marchés mondiaux importateurs d’huile d’olive, entre autres les Etats-Unis d’Amérique et la Chine.