La condition essentielle pour le bon fonctionnement des instances indépendantes est la dépolitisation de leurs fonctions. C’est ce qu’a souligné Simona Granata-Menghini, secrétaire de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, dans son intervention en ligne lors de la conférence sur les instances indépendantes au service du citoyen organisée en mode hybride (à distance et en présentiel à l’institut français de Tunisie), mardi 25 mai 2021.
La responsable estime important de garantir la non-ingérence dans les travaux des instances indépendantes, non seulement des pouvoirs mais aussi des partis politiques et des différentes entités de la société civile.
Elle a aussi mis l’accent sur la nécessité de renforcer la coordination entre les différentes instances indépendantes pour qu’elles puissent coopérer entre elles en synergie.
S’agissant du cadre législatif, Granata-Menghini a indiqué que la commission de Venise insiste pour que certaines lignes rouges ne soient pas franchies comme l’élection à la majorité qualifiée des juges de la cour constitutionnelle et de certains membres des instances constitutionnelles, qui n’est pas négociable, selon elle.
” Il faut trouver une solution alternative mais on ne peut pas renoncer à cette garantie “, a-t-elle dit estimant que la nomination par un exécutif n’est pas une garantie et à n’importe quel moment lorsqu’une difficulté se présenterait le public perdrait confiance en cette instance.
Risque sur un éventuel recul de la liberté d’actions des instances indépendantes
Evoquant l’expérience de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), Nouri Lajmi, son président, a souligné que, depuis sa création, l’instance a toujours été confrontée à de grands défis surtout que le secteur des médias est toujours convoité, voire courtisé, par les politiques, selon lui.
” C’est un domaine sensible qui doit à la fois être protégé de la pression des groupes d’intérêts et de l’emprise du pouvoir politique “, a-t-il dit
Nouri Lajmi a indiqué que la HAICA est appelée à garantir la liberté de la communication audiovisuelle, à organiser l’exercice de cette liberté et à accompagner la libération du secteur sur la base de la transparence et de l’équité. ” Cela n’est pas une mince affaire surtout avec le lourd héritage du passé et l’inexpérience des nouveaux acteurs politiques “, s’est-il exprimé.
D’après lui, il existe une réelle inquiétude face aux risques de recul au niveau de l’indépendance et de la liberté d’actions des instances indépendantes.
Les institutions indépendantes sont le pilier d’un Etat démocratique
Intervenant à cette occasion, Marcus Marcus Cornaro, ambassadeur de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, dira pour sa part que, pour l’UE, les institutions indépendantes sont le pilier d’un Etat démocratique et de droit qui participent à l’ancrage des droits humains.
” Ces instances garantissent également la bonne gouvernance des institutions ce qui augmente la confiance et l’adhésion du citoyen et améliore par conséquent la croissance économique du pays “, a-t-il souligné.
Toutefois, selon l’ambassadeur, trois défis persistent, à savoir la finalisation du cadre législatif et réglementaire de ces instances, la finalisation de l’élection des membres de certaines instances constitutionnelles et la garantie de l’autonomie administrative et financière des instances afin qu’elles puissent accomplir pleinement leurs rôles.
Nassim El Kéfi, conseiller au Comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, relève quant à lui le manque de moyens et des ressources financières, ce qui reflète, selon lui, le manque de volonté de la part des décideurs et pouvoirs exécutifs.
Nécessité d’une moralisation de la vie publique
Pour Imed Boukhris, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), l’instance est appelée à la moralisation de la vie publique à travers l’implémentation des principes qui ont été constitutionalisés comme la transparence, la redevabilité, l’intégrité la probité.
Nécessité d’une autonomie financière
De son côté, Fethi Jarray, président de l’Instance nationale pour la prévention de la torture (INPT), a soulevé le problème de l’autonomie financière outre le retard dans la finalisation du cadre législatif appelant le parlement à assumer ses responsabilités pour garantir l’autonomie totale de ces instances, qui sont le pilier de la démocratie.
L’ISIE a une responsabilité morale
Pour sa part, Nabil Baffoun, président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), a souligné que la responsabilité politique de l’ISIE est morale elle est devenue de plus en plus importante et décisive.
Depuis 2014, l’ISIE n’a pas cessé de proposer des recommandations visant à améliorer le processus électoral notamment en matière de renforcement des droits de l’homme telles que l’amélioration de l’accessibilité aux élections, la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes et l’inclusion des personnes handicapées.
A noter que la conférence s’inscrit dans le cadre du Projet d’Appui aux Instances Indépendantes en Tunisie (PAII-T), dont l’objectif est de contribuer à ce que les instances indépendantes soient dotées des moyens financiers, humains et logistiques nécessaires à l’exercice de leur mandat, leur permettant d’exercer pleinement et en toute indépendance leurs attributions statutaires.
Selon Pilar Morales, Cheffe du bureau du Conseil de l’Europe en Tunisie par intérim, ce projet est financé à hauteur de 5 millions et demi d’euros dont 90% des fonds sont mis à disposition par l’UE et 10% par le Conseil de l’Europe.
Un concours photo est ouvert aux jeunes sur la thématique des droits de l’homme en Tunisie en marge de la conférence qui se poursuivra demain.