Ain Draham, haut lieu de villégiature sereine et lieu de mémoire pour une bonne partie des tunisiens qui y ont étudié ou qui y ont passé leurs vacances vient de faire l’objet d’un ouvrage en arabe publié par Mohamed Dabboussi, professeur d’histoire.
Intitulé «Ain Draham, village de création récente aux multiplies spécificités », l’ouvrage truffé de photos et de rapports instructifs de militaires français, revient sur l’histoire de ce village ex-nihilo créé en 1881 par les colons français, sur les origines de sa population et sur ses atouts naturels et touristiques.
L’auteur s’attarde sur l’origine de l’appellation de ce village connu pour son patrimoine colonial (cachet architectural, toits aux tuiles rouges…).
« La source d’argent »
Il privilégie deux légendes : la première la plus partagée par les habitants du village serait celle d’une femme dénommée « Draham », tandis que la deuxième fait référence à la pureté de l’eau de la source (Ain) qui rappellerait celle de l’argent « source d’argent (drahem)».
Concernant l’origine de la population d’Ain Draham, elle serait un mélange de Berbères – originaires de la tribu Sanhaja – et Arabes – descendants de Khemir Ibn Omar et de son fils Abdallah Bijemal (péninsule arabique), selon Ibn Khaldoun.
S’agissant du site, l’auteur a beaucoup insisté sur sa dimension stratégique et militaire. Le colonisateur cherchait, à travers la création de ce village situé entre deux montagnes et deux oueds, à avoir une vue sur toute la Kroumirie. L’objectif étant de contrôler tous les passages. C’est dans cet esprit qu’il y a construit une des plus grandes casernes militaires du pays à l’époque.
C’est pour subvenir aux besoins de cette caserne, des militaires et de leurs familles, que des activités économiques et commerciales (épiceries, souks hebdomadaires, poterie, sculpture sur bois, tourisme, rotin…) ont pu voir le jour, note l’historien.
Résistance des Khroumiriens aux colons
L’auteur consacre tout un chapitre à la résistance des khroumiriens (ain-drahmiens) à la colonisation française. Il relève qu’un arsenal de 30 000 armes a été mobilisé pour faire face à l’envahisseur. Parmi les batailles menées contre le colon, il cite celles de « Fej Kahla », « Hojrat el mankoura », « Khanguett el hammam », « Ben metir », « Kmaier ».
Il évoque la participation du village à la lutte de libération nationale à travers l’adhésion, en 1937, au Parti libre destourien, la participation au mouvement armé Fellgha et observation de grèves, en 1947, pour protester contre l’arrestation de leaders nationaux.
Mohamed Dabboussi traite du soutien qu’a apporté la population de la délégation d’Ain Draham à l’armée de libération nationale (ALN) contre la colonisation, et ce au triple plan logistique, populaire et politique. Ain Draham étant retenu historiquement comme une base arrière pour l’ALN.
Ain Draham, seul village tunisien à figurer, en 1940, sur les routards français
L’auteur devait aborder, ensuite, les atouts naturels de la délégation d’Ain Draham, mettant en relief le paysage forestier. Ce dernier s’étend sur 42 mille hectares répartis en 26 mille ha de chênes liège, 10 mille ha de chênes zen et 6 mille ha de pins.
Viennent ensuite les sources (Ain) qui quadrillent le village et qui sont visitées presque chaque jour par les promeneurs ain-drahamiens, une sorte de retour aux sources au quotidien. Il s’agit d’Ain-Draham, Ain Boulahya, Ain-laamari, Ain-Ali, Ain-Touati, Ain Bourmechane, Ain-Ticha, Ain-Khélifa, Ain-18 (dizuitième), Ain-ich El ghrab, Ain-Elhallouf, Ain-Ramla, Ain-Mizab, Ain-Zena.
Point d’orgue de cet ouvrage, les révélations sur le passé touristique du village, spécialisé depuis 1930 dans le tourisme intérieur et administratif. Depuis cette date, des départements ministériels et entreprises publiques disposaient, à Ain Draham, des locaux aménagés spécialement pour les vacances estivales ou hivernales (à cause de la neige) de leurs hauts cadres.
Selon Mohamed Daboussi, sur un total de 66 hôtels (480 lits au total) que comptait la Tunisie en 1937, quatre étaient opérationnels à Ain Draham, soit une capacité de 100 lits. Il s’agit des hôtels « Beau Séjour », « Les Chênes », « Les Fougères », « Les Sources ».
Pour comprendre l’âge d’or touristique de ce village à cette époque, des villes balnéaires comme Sousse et Hammamet comptaient chacune 2 hôtels seulement. Seule Tunis se démarquait avec 22 hôtels.
Ain Draham, un des rares sites touristiques tunisiens à figurer à l’époque sur les revues spécialisées, routards et guides touristiques français (Michelin, Joanne…).
Ain Draham a besoin d’une vision stratégique
De nos jours, le village, qui s’est spécialisé, timidement, dans les tourismes vert, thermal et sportif (Complexe sportif international, spécialisation de certains hôtels dans l’hébergement d’équipes sportives tunisiennes et algériennes…), compte, depuis 1970 de nouveaux hôtels dont El Mouradi (ex-station thermale de Hammam Bourguiba), Rihana, Nour El Ain et bientôt une station thermale à Ben Metir. Certains hôtels sont en ruine, s’agissant particulièrement de l’hôtel des Chênes et de celui de « La forêt ».
Moralité de l’histoire : l’ouvrage de Mohamed Dabboussi laisse entendre que le village d’Ain Draham gagnerait à exploiter tout son potentiel pour retrouver son prestige d’antan comme une destination privilégiée de tourisme intérieur. Concrètement, elle gagnerait à faire l’objet d’une véritable vision stratégique. La municipalité d’Ain Draham se doit de commencer en élaborant une étude sur le développement multiforme du village, à l’horizon 2040-2050.
Autre enseignement à tirer de cet ouvrage, il constitue un témoignage historique édifiant sur la marginalisation de ce village, depuis l’accès du pays à l’indépendance en 1956, et sur le travail de sape qui a été mené et par l’administration centrale et par l’administration régionale pour transformer un village prospère en un village sous-développé…
Cela pour dire que l’ouvrage mérite le détour et ouvre la voie à une réflexion plus approfondie sur la migration planifiée de villes prospères à l’époque coloniale vers la paupérisation après l’indépendance.
A méditer.