Objet de toutes les convoitises en vue de sa privatisation, il y a une année et demie, la Régie nationale des tabacs et des allumettes (RNTA), distributeur officiel de tabac en Tunisie et unique importateur officiel de marques de cigarettes étrangères, maintiendra son statut d’entreprise publique.
A l’origine de cette décision, deux initiatives majeures des gouvernements Fakhfakh et Mechichi.
La première date du mois d’août 2020. En vertu d’un protocole d’accord conclu entre la RNTA et la Chambre nationale des grandes surfaces, les supermarchés seront dorénavant autorisés, exceptionnellement, à vendre les tabacs. Cet arrangement a été officialisé par sa publication, le 13 avril 2021, au Journal officiel de la République tunisienne (JORT). Ce décret entrera en vigueur vers le mois de septembre 2021.
Des projections optimistes pour 2021
La deuxième remonte au mois de décembre 2020, avec la promulgation de la loi des finances 2021. Cette loi a prévu d’importantes mesures pour soutenir l’industrie du tabac en Tunisie, avec une importante baisse de la taxe de consommation.
Il s’agit, notamment, de la baisse des taxes de consommation prélevées sur le Maassel, le Jirak et le tabac chauffé. A titre indicatif, celle prélevée sur le Maassel baissera dans une proportion significative de 135% à seulement 10%.
Par ailleurs, une taxe de consommation de 10% est proposée sur les recharges des cigarettes électroniques.
Dopé par ces nouvelles mesures visant à casser le monopole de la distribution des tabacs et à lutter contre la contrebande par la baisse des prix, le DG de la RNTA, Taoufik Abbès, a annoncé, dans plusieurs interviews accordées aux médias, une stratégie de relance fort optimiste pour 2021. Selon ses projections, l’industrie du tabac apportera 1,749 milliard de dinars aux caisses de l’Etat au cours de cet exercice, 595 millions de dinars à la RNTA, et environ 150 millions de dinars aux commerçants.
Point d’orgue de ces prévisions, la RNTA renouera, cette année, avec les bénéfices en prévoyant un résultat net de 40 MDT, réalisera des recettes de 70 MDT provenant de la vente des cigarettes locales, et réduira à 30 MDT les pertes générées par le système d’importation des cigarettes.
Les pertes du secteur par l’effet de la contrebande
D’après son directeur général, la RNTA a subi, ces dernières années, par l’effet de la contrebande, des pertes estimées à 1,4 milliard de dinars dont 995 MDT provenant du Maassel vendu en dehors des circuits formels, et 400 MDT générés par la vente de cigarettes introduites illicitement dans le pays.
Toujours au rayon des pertes, le président de la Chambre syndicale des Grandes surfaces, Hédi Baccour, lors d’un entretien accordé à la radio Express Fm, a indiqué que « des études récentes ont révélé que les fumeurs tunisiens dépensent quotidiennement un million de dinars de plus que le coût réel des cigarettes sur le marché ». Autrement dit, «… chaque année, par l’effet de la vente des cigarettes à un prix supérieur aux prix fixés légalement pour le marché, les fumeurs dépensent 360 millions de dinars de plus qu’ils ne le devraient », ajoute Baccour.
Pour mesurer l’importance de chiffre (360 MDT), il fait remarquer que ce montant représente trois fois la subvention du sucre et plus de la moitié du bénéfice annuel cumulé de tout le secteur de la grande distribution, soit 600 MDT.
Et Baccour de tirer les conséquences : « En achetant le tabac dans les grandes surfaces, les fumeurs tunisiens feront en principe l’économie de 360 MDT…».
En dépit de ses éclairages sur le bien-fondé, du moins pour les Caisses de l’Etat, des mesures prises en faveur de l’industrie du tabac, ces dernières n’ont pas été du goût des 23 000 buralistes officiels et non officiels que compte l’industrie du tabac.
Pour montrer leur mécontentement, ils ont organisé des sit-in un peu partout dans le pays pour protester contre l’autorisation accordée aux Grandes surfaces de vendre les produits de tabac. Ils voient dans cette décision une sérieuse menace pour leurs sources de revenus.
L’administration, par la voix du secrétaire général du ministère des Finances, département en charge du dossier, a rassuré les buralistes. A cette fin, le ministère s’engage à continuer à les approvisionner comme auparavant, dans les limites des quantités convenues légalement.
Il a rappelé que le but poursuivi à travers l’entrée en concurrence avec les Grandes surfaces vise à lutter contre la spéculation qui fait que le prix du tabac soit vendu, jusqu’à ce jour, à plus de 50% du prix fixé par l’administration. Ce qui est énorme.
Le Conseil supérieur de la concurrence ne serait pas contre, mais…
Et pour être complet sur ce dossier, le Conseil supérieur de la concurrence (CSC) a été saisi par l’administration pour se prononcer sur la légalité de cette ouverture exceptionnelle de la distribution du tabac aux Grandes surfaces.
Le président du CSC, Ridha Ben Mahmoud, a déclaré au quotidien Le Maghreb, considère que cette ouverture constitue la décision la plus efficace pour garantir la traçabilité des produits, la transparence des prix et la maîtrise des conditions d’approvisionnement et de stockage.
Néanmoins, l’idéal serait, selon lui, de transcender cette ouverture exceptionnelle et de libéraliser totalement la composante distribution du secteur avec comme corollaires la suppression du système des autorisations et son remplacement par la conclusion de contrats entre les industriels du tabac et les commerçants.
A signaler que l’industrie du tabac contribue à hauteur de 9% aux ressources de l’Etat, emploie 2 000 personnes et assure une source de revenus à plus de 16 000 buralistes.