On le sentait depuis quelques années. Les bailleurs de fonds partenaires de la Tunisie se défient des gouvernants tunisiens auxquels ils reprochent incompétence, mauvaise gouvernance et tergiversations en matière d’initialisation de réformes et d’exécution, dans les délais, des projets pour lesquels des crédits ont été accordés.
Par Abou SARRA
En réaction au laxisme de certains officiels tunisiens, ils ont de plus en plus tendance à suivre de près la mise en œuvre des crédits qu’ils accordent et à évaluer à mi-chemin l’effectivité de leur réalisation. Et lorsqu’ils constatent qu’il y a un retard injustifié dans la mise en œuvre de ces projets, ils n’hésitent pas soit à suspendre le décaissement des crédits, soit à les réviser à la baisse.
Et si la révision à la baisse des crédits devenait la règle ?
La récente révision à la baisse du prêt accordé à la Tunisie par la Banque mondiale pour financer le projet de gestion intégrée des paysages forestiers de 93 millions d’euros à 48 millions d’euros, en raison du faible taux de réalisation de ce projet, en est une parfaite illustration.
Selon le ministre de l’Agriculture par intérim, Mohamed Fadhel Kraiem qui a donné l’information au Parlement, le 24 mai 2021, « le processus d’évaluation mené par les services de la Banque mondiale a conclu que le projet n’a pas épuisé les fonds alloués et que l’achèvement de ses différentes phases n’a pas dépassé, jusqu’en avril 2020, les 9,6% ».
En visite en Tunisie, le 15 mars 2021, le vice-président de la Banque mondiale en charge de la région MENA, Férid Belhaj, avait évoqué longuement l’insuffisance d’absorption de l’économie tunisienne des crédits accordés par les bailleurs de fonds.
Il avait révélé que «des financements de 5,2 milliards d’euros ont été alloués par la Banque mondiale et l’Union européenne à la Tunisie mais celle-ci n’a pas exploité ces fonds qui constituent 15% de son PIB ».
Il ajoutait qu’« en raison de cette insuffisance de capacité d’absorption, les bailleurs des fonds ne peuvent plus accorder de nouveaux prêts à la Tunisie ».
C’est ce qui explique, en partie, les difficultés rencontrées, ces derniers jours, par la partie tunisienne pour contracter un nouveau crédit auprès du Fonds.
Les derniers crédits du FMI n’ont pas été totalement décaissés
D’ailleurs, dans une interview accordée au mois de mai 2021 à l’Agence TAP, le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement, Ali Kooli, a révélé que les deux crédits contractés auprès du FMI, depuis 2011, n’ont pas été décaissés totalement.
« En 2013, près de 70% du montant de l’accord conclu avec le FMI avaient été décaissés, alors qu’en 2017, c’était aux alentours de 55% du montant de l’accord qui avaient été libérés, faute d’une mise en œuvre réelle de l’ensemble des réformes structurelles prévues dans le cadre du plan de développement 2016-2020 », a-t-il explique.
L’exacerbation de la KFW
A son tour, la Banque de coopération allemande KfW commence à perdre patience face au laxisme des gouvernants tunisiens et à le dire haut et fort.
La banque allemande reproche au gouvernement tunisien de traîner la patte dans la mise en place de la “Banque des régions“, projet dans lequel la KFW a investi, depuis 2013, plusieurs millions d’euros sans aucun résultat.
D’après Ridha Chalghoum, ancien ministre des Finances dans le gouvernement de Youssef Chahed, le capital de cette banque des régions est estimé à 400 millions de dinars (MDT) qui sera financé par la KFW aux côtés d’autres bailleurs de fonds.
Ce type de banques, qui est beaucoup plus proche de la banque d’affaires que de la banque universelle, a connu beaucoup de succès en Allemagne, en Grande-Bretagne et dans des pays qui ont connu une transition démocratique, en l’occurrence l’Espagne et les Pays d’Europe centrale et orientale (PECO).
Moralité de l’histoire : les gouvernements tunisiens, enlisés dans la bureaucratie et le laxisme, vont compter, dorénavant, avec des bailleurs de fonds plus exigeants et plus regardants sur le processus de réalisation des projets qu’ils financent.
Dans cet esprit, ils insistent pour que toute nouvelle demande de crédit soit accompagnée d’un programme de réformes concret et clair avec des chiffres et des échéances précises. Ce sera désormais la recette pour convaincre certains donateurs et autres institutions financières internationales.