Plusieurs experts et économistes sont unanimes pour dire que confrontée à une crise socioéconomique aiguë, la Tunisie n’a d’autre choix que d’emprunter pour honorer ses engagements envers ses créditeurs”, d’autant plus que le pays est appelé à rembourser, en juillet et août 2021, des dettes d’une valeur de 1 milliard de dollars, soit 2,7 milliards de dinars.
Dans des déclarations recueillies par la TAP, les experts Aram Belhaj et Ridha Chkondali rappellent que le délai de remboursement de ces dettes intervient alors que les dépenses publiques élevées et l’endettement extérieur ne laissent quasiment pas de marge de manœuvre au gouvernement pour mobiliser des ressources financières..
De surcroît, les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir un crédit de 4 milliards de dollars, le plus élevé depuis l’indépendance, restent floues, d’autant que le fonds a exigé un programme de réformes économiques qualifiées par les experts de ” douloureuses “.
Réserves de devises fortes : une manœuvre à l’horizon limité
Les avoirs nets en devises de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ont augmenté à 21,4 milliards de dinars jusqu’au 8 juin 2021, ce qui permet au pays de couvrir 144 jours d’importations.
Dans une déclaration à l’issue de sa réunion du 2 juin 2021, le Conseil d’administration de la BCT a indiqué que les avoirs nets en devises ont atteint 20,7 milliards de dinars soit 139 jours d’importations à fin mai 2021, contre 21,5 milliards de dinars et 137 jours d’importations, au cours de la même période de l’année 2020.
Pour le professeur d’économie Aram Belhaj, les décideurs en Tunisie ne doivent en aucun cas exploiter cette réserve, car cela peut entraîner une réduction du stock, ce qui est de nature à influencer l’achat des produits de base, outre son impact sur la notation souveraine du pays.
“Si le pays paye les tranches dues dans le cadre de la garantie du gouvernement américain estimées à 1 000 millions de dollars, en utilisant ces avoirs, les réserves en monnaie étrangère baisseront systématiquement”.
Belhaj considère qu’il importe de trouver un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour fournir des financements supplémentaires au budget, et du coup rembourser, à temps, les tranches dues.
Il s’agit également de trouver des solutions avec les pays amis à l’effet d’obtenir des crédits sous forme de dépôts.
Il a fait observer que les dons obtenus par la Tunisie à l’instar de celui attribué par les Etat Unis, juin 2021, dont la valeur est estimée à 500 millions de dollars, ne peuvent pas être exploités dans le remboursement des dettes.
De son côté, Ridha Chkondali estime que le seul choix pour la Tunisie, c’est de rembourser ses crédits en recourant à d’autres crédits.
Il a fait observer que la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales du G7, tenue récemment, a souligné la nécessité d’accroître la capacité d’emprunt de crédits à 650 milliards de dollars pour les pays pauvres, estimant que la Tunisie peut tirer profit de cette tendance.
Pour Chkondali, l’absence d’une vision claire et d’un programme économique basé sur des données et des objectifs, outre les tiraillements politiques et l’impression d’instabilité du gouvernement de Mechichi, entravent toute opportunité de parvenir à des accords financiers.
Nécessité d’un discours politique unifié sur le dossier des emprunts extérieurs
Les deux experts lancent un appel aux décideurs politiques d’unifier leur discours sur le dossier de l’endettement afin de faire sortir la Tunisie de sa situation actuelle.
Les déclarations du président de la République, Kais Saied, lors du sommet Tunisie-UE, les 3 et 4 juin 2021, pourraient être considérées comme un message négatif envoyé aux bailleurs de fonds et aux agences de notation internationales, estime Chkondali qui fait part de ses craintes d’une nouvelle baisse de la note souveraine de la Tunisie en cas de non remboursement des prochaines échéances.
L’expert pense que les tensions entre Saied et Mechichi donnent l’impression que le gouvernement est instable, ce qui perturbe les accords financiers voire les financements (sous forme de dépôts) qui seront accordés par le Qatar et la Libye.
La situation politique en Tunisie empêche actuellement la conclusion d’accords financiers, que ce soit au niveau des institutions financières internationales ou de l’aide bilatérale, a-t-il souligné, évoquant l’idée d’un recours aux ressources intérieures, telles que les recettes douanières et fiscales, qui permettront d’injecter des milliards de dinars dans la trésorerie de l’Etat.
Selon lui, dans le cadre des réformes législatives, la ratification de la loi sur les délits de change permettra à l’Etat de mobiliser des fonds en devises qui restent encore hors des cadres légaux malgré la mise en place de bureaux de change à plusieurs endroits.
Toujours selon l’expert, la reconstruction de la Libye et la position stratégique de la Tunisie dans la région méditerranéenne pousseront les grands pays, comme la France et les Etats-Unis, à aider la Tunisie et à ne pas l’abandonner au cours de la prochaine étape.
En ce qui concerne la gestion du dossier de la dette en Tunisie, Belhaj propose de créer une agence de la dette chargée de gérer la dette du pays et de trouver des solutions.