Proposition pour concevoir autrement le Contrat social tunisien

L’Association Mohamed Ali de la culture ouvrière (Acmaco), think tank spécialisé dans le monde du travail, a décidé d’organiser, cette année, son traditionnel forum estival, du 6 au 8 août 2021, à Hammamet, sur le thème : « Quel nouveau contrat social pour refonder la transition démocratique en période de pandémie du Covid-19 ? ».

Abou SARRA 

Selon ses organisateurs, ce forum ne manque pas d’enjeux dans la mesure où il va proposer une nouvelle approche du “contrat social” qui signifie, dans sa version moderne,  un engagement pour un développement concerté entre les partenaires sociaux, Etat, syndicat, et patronat. Le but étant de garantir la paix sociale et la croissance.

Dénommée « pour un contrat social citoyen », cette nouvelle vision se propose de se démarquer des anciens contrats sociaux conclus dans les années 70 et en 2013, après les émeutes du 14 janvier 2011.

Deux contrats sociaux sans résultats notoires

Pour mémoire, le premier contrat social, dénommé “contrat de progrès” de la Tunisie, a été établi au temps de Hédi Nouira, Premier ministre à l’époque, entre ce qu’il appelait « l’État, expression du pouvoir organisé ; le parti (destourien) de l’époque, inspirateur des orientations de la politique et organisateur des masses ; enfin, les organisations socioprofessionnelles, qui groupent et engagent les partenaires à la production », allusion ici à l’UGTT et à l’UTICA.

Le contrat du progrès visait à réajuster le rôle de l’Etat providence responsable exclusif de la croissance, depuis 1956, dans tous les domaines et à contenir, son corollaire, le développement d’une bureaucratie stérilisante.

Trois objectifs étaient recherchés à travers cette régulation : la recherche du plein-emploi; une politique de revenus adéquate ; la recherche du meilleur équilibre régional.

Le second contrat social a été conclu, le 14 janvier, 2013, au temps du chef du gouvernement nahdhaoui, Hamadi Jebali, Houssine Abassi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail, et Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA.

La philosophie de ce nouveau contrat social, nourrie, soi-disant, des valeurs de la révolution (libertés, dignité, emploi), s’articulait autour de cinq axes : croissance économique et développement régional, emploi et formation professionnelle, relations professionnelles et travail convenable, protection sociale, institutionnalisation du dialogue social.

Point d’orgue de ce contrat, la création sans lendemain d’un fond d’assurance contre la perte de l’emploi. Empressons nous de signaler que ce fonds n’est ni une assurance chômage classique, ni simple assistance, mais un projet d’assurance financée par les partenaires sociaux qui protège le salarié et déculpabilise l’employeur.

Malheureusement au regard des résultats, les deux contrats sociaux n’ont honoré aucun des engagements pris par les partenaires sociaux, particulièrement en ce qui concerne l’exacerbation du déséquilibre régional avec le contrat social des années 70 et les récessions socio-économiques successives que connaît le pays depuis 2011 et qui risquent de le mener au scénario libanais ou grec.

L’Acmaco explique cet échec par le fait que ces contrats ont été conclus avec des partenaires makhzéniens, conservateurs bureaucrates qui ne cherchaient qu’à préserver leurs intérêts au pouvoir.

La seule chose qui a changé c’est juste le parti au pouvoir. Dans les années 70 c’était le parti socialiste destourien (PSD), après 2011 c’est le parti intégriste Ennahdha. Mais le système est resté le même. « Au cœur de ce système, l’économie de rente, la corruption et ses implications : autoritarisme, clientélisme… », note l’Acmaco.

Plaidoyer pour une rupture avec les makhzéniens

Pour y remédier, le  think Tank ne va pas par quatre chemins. Il suggère la coupure avec ces anciens contrats et avec leurs anciens acteurs, voire ce qu’il appelle la coupure « de l’alliance de la bureaucratie administrative avec la bureaucratie syndicale ».

Concrètement, il propose un nouveau modèle sociétal dénommé modèle social citoyen (MSC) fondé  sur la citoyenneté multiple (juridique, socioéconomique, écologique, territoriale, numérique…).

Le nouveau contrat social citoyen s’articule, d’après l’Acmaco, autour des valeurs de la solidarité, de la pluralité et de l’égalité, ayant comme objectifs la répartition équitable des richesses et des pouvoirs entre les classes sociales, les régions, les générations, les races et une dimension genre : ainsi que la définition des droits et des devoirs.

Autre distinction de ce contrat social citoyen, citée par l’Acmaco. Il s’appuie sur le paradigme de l’horizontalité par opposition à la verticalité des accords établis entre les acteurs au sommet de l’Etat et ceux des organisations dites nationales.

Cela suppose, relève l’Acmaco, la contribution à son élaboration par les diverses organisations syndicales dans leur pluralité. Car dans un contexte de démocratie et de gouvernance décentralisée, un contrat social citoyen renferme une approche et des mécanismes permettant des déclinaisons au niveau local et régional.

« En effet, les dysfonctionnements relatifs à la distribution des richesses, au genre, à l’équité ou à la gouvernance se manifestent différemment selon les contextes et la nature du tissu des relations sociales et entre les institutions. Il a pour objectifs : un Etat stratège démocratique et social, une société civile efficiente, un modèle de développement partenarial, équitable, numérique et durable avec trois acteurs d’activités (public, privé et tiers secteur dit secteur de l’économie sociale et solidaire qui est appelé à jouer un rôle majeur) », fait remarquer l’Acmaco.

Cette dernière conclut son exposé sur les motifs pour l’organisation de ce forum  en ces termes : « Au cœur de cette l’alternative : la citoyenneté, les services publics, la protection sociale, le développement durable, l’économie sociale et solidaire et les nouveaux acteurs émergents dont le mouvement social citoyen – MOSC, pour la réalisation d’une meilleure justice sociale ».