La Tunisie vient de célébrer les “journées nationale et internationale de l’environnement” (5 et 11 juin), alors que les scandales environnementaux ponctuent l’actualité du pays.
Ces scandales témoignent de l’écart entre le discours officiel et la réalité. Depuis 2020 et jusqu’à ce jour, les découvertes relatives aux infractions et atteintes à l’environnement se sont succédé en Tunisie, et ont même pris de l’ampleur: déversement d’eau polluée dans le cours de l’Oued Medjerda à Béja (22 mars 2021), incinération de déchets à ciel ouvert à Kairouan (Rouisset) (31 décembre 2020 et 9 et 10 janvier 2021), mort de bétail à cause des eaux polluées déversées par des industriels dans la Sebkha de Tazarka à Nabeul (28 mai 2021), utilisation de 33 pesticides interdits en Europe (mai 2021).
A ces multiples catastrophes, vient s’ajouter le scandale de l’importation illégale de déchets d’Italie. C’est un triste feuilleton qui se poursuit, depuis plus d’une année à partir de l’entrée en mai 2020, des premiers conteneurs à Sousse.
Parmi les catastrophes les plus emblématiques dans ce domaine et dont l’impact perdure depuis des années, figurent la saturation de la plus grande décharge contrôlée de toute la Tunisie (Borj Chakir) et la destruction par l’activité industrielle, des systèmes écologiques dans le golfe et l’oasis de Gabès, à Gafsa et dans le golfe de Monastir.
Outre ces désastres écologiques, dont le traitement promis est renvoyé la plupart du temps, aux calendes grecques, ceux qui touchent des îles comme celles de Kerkennah. L’archipel souffre des déchets plastiques et de la pêche anarchique.
Des zones humides d’importance internationale sont hautement menacées, y compris le célèbre lac Ichkeul à Bizerte (trésor de la biodiversité et destination privilégiée des oiseaux migrateurs). Elles sont exposées actuellement, à tous les risques, d’après le coordinateur scientifique de l’Association des amis des oiseaux (AAO), Hichem Azefzef.
Aide au développement sans développement !
Pourtant l’environnement figure parmi les secteurs de choix ayant bénéficié de l’aide au développement. En Tunisie, environ 30 bailleurs de fonds internationaux sont en train d’apporter leurs aides et appuis à des projets environnementaux et aux activités liées, d’après l’ONG “Jamaity”.
Toutefois, des questions se posent sur l’efficience de ces projets et de l’aide allouée et annoncée toujours en grande pompe par les donateurs, mais dont la contribution réelle à l’amélioration de la situation sur le terrain, demeure peu mesurable, d’autant que l’Etat lui même, et ses institutions sont souvent les premiers responsables des plus grands désastres écologiques en Tunisie.
Parmi les grands pollueurs en Tunisie, le FTDES cite l’ONAS, le CPG et le CGT , dénonçant les atteintes de ces deux derniers à l’environnement dans le bassin minier de Gafsa (surexploitation de la nappe et pollution du sol).
Le forum dénonce le parti pris de l’Etat depuis des dizaines années, en faveur des industriels et l’absence de volonté politique de sanctionner les entreprises pollueuses. Pour preuve, l’Etat donne des autorisations et est soupçonné d’être de connivence avec des investisseurs qui utilisent des produits nocifs à l’instar du coke (résidu de carbone) utilisé par les cimenteries, selon les exemples cités par le forum FTDES.
Face à cette situation et compte tenu de l’incapacité des institutions de l’Etat dédiées à la protection de l’environnement, à jouer leur rôle, en raison notamment, des problèmes de gouvernance qui les minent à l’instar de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED), épinglée notamment par le rapport de la cour des comptes de 2018, le citoyen se retrouve ainsi, seul face à ceux qui violent ses droits, avec pour seul appui, celui de la société civile.
Reconduire l’échec !
La plupart des projets lancés, chaque année, que ce soit sur le plan national ou dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale, a tendance à répéter les mêmes démarches.
Le fameux volet de “renforcement des capacités ” est à cet effet, une composante qui n’est jamais absente des projets de partenariat de la Tunisie avec les pays étrangers, mais il n’a jamais abouti à un changement mesurable, notamment, dans le domaine de l’environnement et en particulier dans la gestion des déchets.
“On refait la même chose depuis des années et on s’attend à un résultat différent “, critique l’activiste de l’environnement, Wissem Hamdi, qui réagit à la dernière initiative annoncée dans le cadre du partenariat tuniso-allemand, le 20 mai 2021.
Il s’agit du projet “ProtecT” (Protection du climat à travers l’économie circulaire en Tunisie), lancé, devant une salle archicomble, dans un hôtel de luxe dans la Banlieue nord de Tunis.
Un contrat de mise en exécution du projet, moyennant un montant de 5 millions d’euros, a été signé pour développer ce concept de l’économie circulaire, au moment où le pays n’a pas réussi, depuis des années, à imposer le tri à la source et le traitement convenable des déchets, conditions indispensables pour passer à la circularité.
” Pour implanter des modèles réellement efficaces d’économie circulaire, il faut d’abord que les matériaux soient conçus conformément, aux objectifs consistant à ne pas nuire à l’environnement et à la santé humaine et parvenir à zéro déchet “, estime Semia Gharbi, enseignante du développement durable et spécialiste de la toxicité.
D’après elle, la collaboration de l’industrie est essentielle, pour que les entreprises assument, en amont, la responsabilité des matières dangereuses qu’elles produisent.
Le modèle de développement toujours en question
Pour le FTDES, la dégradation de la situation environnementale dans le pays est due, entre autres, à la nature du modèle du développement adopté en Tunisie. Ce modèle souvent décrié depuis la révolution, mais sans suite, n’a jamais donné assez d’importance à l’environnement.
“Le souci de tous les gouvernements dans les régions les plus polluées du pays (Gafsa, Gabès) a été de garantir la durabilité de la production et l’augmenter encore, indépendamment des dégâts engendrés ou de l’impact sur l’environnement, la santé et les ressources surexploitées”.
L’Etat tunisien est tenu par les articles 12 et 13 de la Constitution, à veiller à préserver les ressources naturelles et à assurer une exploitation rationnelle de ces ressources. Il est aussi, appelé à respecter ses engagements internationaux dans ce domaine.
Mais la réalité est toute autre; rien qu’en 2019, 718 mouvements de protestation, dont 117 à Kairouan, pour revendiquer notamment l’accès à l’eau, ont été enregistrés par le Forum Tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).
L’inscription du droit à un environnement sain dans la constitution de 2014 y est pour quelque chose. Elle est intervenue, selon le forum, grâce à la pression exercée par la société civile et les défenseurs des droits humains (droits de la 3ème génération).
Dans son rapport annuel sur “Le plaidoyer environnemental: de la manifestation au contentieux”, paru en janvier 2020, le FTDES affirme ” qu’en dépit des efforts continus pour consacrer les droits environnementaux en Tunisie, la pollution et la poursuite des violations constituent des problématiques qui empêchent l’amélioration de la situation environnementale” dans le pays.
Des discours de sensibilisation inadaptés
Selon le Forum, le principal obstacle entravant la réalisation de résultats efficients en matière de protection de l’environnement, réside dans l’incapacité des gouvernants à produire un discours de sensibilisation adapté et à solutionner les problèmes environnementaux, ce qui a incité la population et la société civile à hausser davantage le ton et à recourir à la justice.
Ainsi de 2020 jusqu’à présent, FTDES a porté trois affaires devant la justice contre des institutions qui ont porté atteinte à l’environnement.
La montée des mouvements de protestation contre la dégradation de l’environnement, ne manquera pas d’avoir un impact sur la paix sociale et bien entendu sur le climat des affaires dans le pays.