Au commencement, une vidéo montrant des policiers lyncher et dénuder un adolescent de 15 ans dénommé Fadi ; une vidéo qui va susciter colère et indignation des internautes en Tunisie. Les faits se sont déroulés le 9 juin 2021 à Sidi Hassine/Séjoumi, à l’ouest de la capitale, Tunis, en marge d’émeutes ayant éclaté à la suite de la mort jugée suspecte, la veille, d’Ahmed Ben Ammar, jeune homme de 30 ans en détention dans le commissariat local.
Par Abou SARRA
Abstraction faite de leur atrocité, ces bavures policières ont eu « le mérite» d’avoir attiré l’attention de l’opinion publique et des médias sur le mal-vivre et la précarité dans laquelle vivent les 200 000 habitants de cette ville, qualifiée, depuis des décennies par les officiels de “quartier difficile de la capitale“.
Interviewés lors d’un reportage effectué mardi 15 juin par la chaîne privée El Hiwar Ettounsi, les jeunes émeutiers de Sidi Hassine se sont distingués par la grande qualité non seulement du diagnostic qu’ils ont établi de leur situation mais également des propositions formulées aux fins de “démarginaliser“ leur cité et d’y réunir les conditions d’une vie décente.
L’oisiveté des jeunes à Sidi Hassine
Au plan du diagnostic, ils ont relevé le désœuvrement voire l’oisiveté et ses conséquences comme signalées par le philosophe français Voltaire dans son œuvre Candide : «l’ennui, le vice et le besoin».
Pour étayer leurs dires, ils citent le nombre impressionnant de cafés dans la cité, l’inexistence d’usines, l’absence d’activités culturelles et sportives, la non disponibilité d’un stade de football et d’un jardin public pour les enfants et les jeunes mamans…
Pis, d’un point de vue écologique, ils affirment que leur quotidien est empoisonné, en hiver comme en été, par les désagréments générés par leur proximité de la Sebkha, des marais de 3 000 hectares, source de moustiques et d’odeurs pestilentielles.
Pour eux, ces conditions de vie inhumaine et indigne d’une ville de banlieue à une dizaine de kilomètres seulement du centre de la capitale, ont favorisé des taux élevés de décrochage scolaire précoce, de chômage et d’autres fléaux sociaux (drogue, alcoolisme, braquage, banditisme, migration clandestine…).
Toutes ces précarités ont fait que les rapports entre les habitants de cette cité et l’administration se limitent à un face à face éternel, notamment entre jeunes désœuvrés et police, et à des affrontements dramatiques comme on vient de connaître en ce début de juin 2021.
Quatre propositions pour améliorer la ville
Au rayon des solutions, ils proposent quatre projets structurants majeurs.
Un centre de formation professionnelle multidisciplinaire pour qualifier les jeunes décrochés de l’enseignement. Ils pensent que la formation professionnelle constitue un levier important pour encourager les jeunes à apprendre un métier, à se sédentariser et à avoir une vie décente.
Ils recommandent l’aménagement d’un stade de football pour donner l’opportunité aux jeunes de s’adonner à leurs sports favoris.
Ils suggèrent également la création d’un parc ou d’un jardin public pour permettre aux mômes de la cité et des habitants de la ville en général de profiter des espaces de verdure.
Le quatrième projet proposé serait une maison de culture digne d’une cité de 200 000 habitants, où les jeunes peuvent s’adonner à diverses activités artistiques valorisantes.
Un regard d’ensemble sur ces propositions montre qu’elles sont raisonnables et réalisables. Les divers départements ministériels sont appelés à assumer leur responsabilité en dépit de certains préjugés sur certaines villes comme Sidi Hassine/Séjoumi qui ont été construites de manière anarchique. Il y va de la stabilité des villes, de la sécurité du pays, de la paix sociale et politique…
Par ailleurs, la valorisation de sebkha Séjoumi et son assainissement sont également un projet viable. Est-il besoin de rappeler que des investisseurs finlandais ont manifesté leur intérêt pour l’aménagement de ces marais qui se sont transformés, au fil des années, en un cloaque de rejets liquides usés et en dépotoir de déchets solides.
Moralité de l’histoire : l’enjeu est de tirer des enseignements des récents événements à Sidi Hassine/Séjoumi et d’ériger les propositions précitées de la jeunesse de cette cité en véritable programme national pour la réorganisation de toutes les villes de Tunisie.
L’Association des planificateurs des villes qui vient d’être créée serait d’un grand apport pour mener à terme un projet aussi ambitieux.