Mettre fin aux résistances administratives et à la culture du “je-m’en-foutisme“ de plus en plus présente dans nos corps administratifs, c’est ce que souhaite le DG de la BTL, Zouhaier Ouakaa, qui voit en la Libye une étendue économique naturelle de la Tunisie. Il estime aussi que l’héritage civilisationnel que se partagent les deux pays est un grand atout. Tout autant que des traditions ancrées sur des décennies de partenariat et de coopération économique et commerciale entre deux voisins qui se partagent entre autres similitudes le dialecte. Ce n’est pas peu.
Entretien
WMC : Comment voyez-vous la relance des échanges économiques entre la Tunisie et la Libye en présence d’autant d’entraves légales ?
Zouhaier Ouakaa : Dire qu’il existe des entraves légales est peut-être exagéré. Pour moi, il s’agit surtout de blocages bureaucratiques et administratifs. Il est bon de rappeler qu’aussi bien le gouvernement et ses différents départements que la Banque centrale de Tunisie ont montré leurs prédispositions à faciliter les échanges commerciaux et le déplacement des capitaux entre les deux pays, ce qui est très significatif.
Je pense que le plus gros du travail doit se faire sur la culture entrepreneuriale de nos administrations.
Pensez-vous que la Tunisie a pris du retard dans le rétablissement de la dynamique économique avec la Libye ?
Notre gouvernement est très conscient de l’importance des échanges économiques avec la Libye sur laquelle il a misé. La décision est très sage, étant donné que la Libye est un espace qui a été et sera toujours vital pour nous autres Tunisiens.
C’est l’étendue économique naturelle de la Tunisie, que ce soit pour nos exportateurs, nos industriels, nos travailleurs ou encore les Libyens qui viennent chez nous pour lancer des projets, pour leurs vacances, pour des soins médicaux ou pour des visites familiales.
Le sud de la Tunisie a toujours représenté un lieu d’accueil privilégié pour les Libyens.
Le sud de la Tunisie a toujours représenté un lieu d’accueil privilégié pour les Libyens. Tout au long de l’embargo contre la Libye, ils s’y rendaient pour s’approvisionner, pour voyager à partir des aéroports de Djerba ou de Tozeur ou pour y rencontrer des relations d’affaires.
Ce que nous attendons aujourd’hui de notre administration, c’est qu’elle soit plus réactive aux demandes de nos partenaires économiques et même des particuliers pour faciliter leur vie dans notre pays. C’est dans l’intérêt de tout le monde et en prime des Tunisiens.
Tant que l’administration n’est pas consciente de son importance en tant qu’acteur déterminent dans le développement et la croissance économique, les lois et les gouvernements, quels qu’ils soient et avec toute la bonne volonté dont ils sont capables, ne pourront pas changer la donne sur le terrain.
Nous devons tous œuvrer, en premier lieu l’administration, à mettre fin à la lourdeur et à la lenteur de nos circuits administratifs. L’effort doit être collectif.
Il paraît que, dans le secteur du BTP, il y a de grandes perspectives en Libye. Comment comptez-vous accompagner les opérateurs nationaux ?
Les opérateurs économiques savent pertinemment que les grands travaux dans le bâtiment et les travaux publics – et là je parle des mégaprojets, c’est-à-dire les grands chantiers comme la construction de l’aéroport de Tripoli, des hôpitaux, des universités, des administrations publiques ou des autoroutes – seront confiés à des sociétés internationales, à des mégasociétés.
Nos entreprises aussi importantes, expertes et efficientes soient-elles sont moins implantées à l’international que les sociétés françaises, italiennes, américaines, allemandes ou chinoises. Par contre, ces mêmes sociétés internationales feront certainement appel à nos entreprises dans le cadre de la sous-traitance.
Les Tunisiens seront appelés à accomplir des sous-projets importants tous domaines confondus dans la construction ou l’énergie.
Il est tout à fait normal que Bouygues – à laquelle on va confier la construction de l’aéroport de Tripoli – ne ramène pas ses ouvriers de France. Elle va certainement faire appel à des entreprises tunisiennes ou égyptiennes.
D’après certains contrats qui ont été fuités, les contrats les plus importants en génie civil seront confiés aux mastodontes. Les Tunisiens seront appelés à accomplir des sous-projets importants tous domaines confondus dans la construction ou l’énergie.
Il y a aussi les projets artisanaux, la formation dans le domaine de l’accueil, de l’enseignement, du secteur médical et le besoin de cadres médicaux et paramédicaux, ne serait-ce que pour la commodité culturelle et linguistique, pour un Libyen, parler à un médecin ou infirmier tunisien serait plus facile.
Les perspectives sont prometteuses, on s’attend à un boum d’activités, après les élections du 24 décembre. J’espère que nous autres Tunisiens seront prêts, solidaires, compétitifs, ambitieux, travailleurs et commercialement performants.
Concrètement que peut faire la BTL pour aider les opérateurs tunisiens à s’implanter en Libye ?
Notre rôle en tant que BTL est d’accompagner nos entreprises et de préparer le terrain en termes de B to B, de networking, vu notre maîtrise du terrain en Libye.
En termes de financement, les entreprises tunisiennes qui vont se déployer en Libye pourront compter sur une banque qui sera avec eux sur le plan conseil, network et financements. La présence logistique, physique et financière est importante.
Le nouveau contexte politique libyen avec un début de stabilité est-il rassurant, d’après vous ?
Certainement. Nous observons une nouvelle dynamique positive et très prometteuse. L’activité économique a repris doucement et sûrement et elle nous offre de belles perspectives d’avenir. Nous sommes dans une courbe ascendante positive. Les demandes et les commandes des produits tunisiens connaissent une recrudescence particulière, ce qui nous rassure quant au futur des échanges entre les deux pays.
La stabilité politique du gouvernement actuel rassure le consommateur libyen et les exportateurs et investisseurs tunisiens qui opèrent sur le terrain libyen.
Avec la reprise des vols Tunisair et ceux très prochainement de Nouvelair, nous ne pouvons qu’être confiants.
Craignez-vous de mauvaises surprises dans un contexte qui, malgré son apparente stabilité, reste fragile ?
Nos inquiétudes sont en rapport avec la volonté réelle de mettre en place le cadre adéquat pour un développement effectif et concret du marché.
Nous sommes face à des perceptions différentes de l’importance de la Libye. Il y a la BCT, le gouvernement et les institutions financières qui sont conscients de cette importance et œuvrent pour améliorer la donne, et l’administration qui résiste ainsi que des lois qui n’évoluent pas et des pratiques qui ne changent pas ou peu.
Nous espérons que les postes frontières, aujourd’hui en piteux état, seront rénovés, mieux aménagés et plus accueillants.
Nous souhaitons que les camions qui transportent des millions de dinars de marchandises et attendent des jours voire des semaines dans les zones frontalières puissent circuler de manière plus fluide sans avoir à attendre aussi longtemps.
Nous attendons de nos autorités publiques qu’elles fassent le nécessaire pour que les patients qui viennent se soigner en Tunisie soient bien reçus et que les Libyens qui sollicitent des cartes de séjour n’aient pas à attendre des décennies ou soient dans l’impossibilité d’inscrire leurs enfants dans nos écoles.
Notre ambition est de voir des Libyens ouvrir des comptes dans nos banques, procéder à des transactions sans être inquiétés ou repoussés tant qu’ils sont dans le respect des lois.
Des promesses ont été faites dans ce sens aussi bien par le ministre des Finances que par le gouverneur de la BCT. Qu’est-ce qui bloque ?
Le discours politique du gouvernement est plus en avance que la pratique de l’administration – oui, j’y reviens toujours. Quand on vous dit que la loi autorise le Libyen à acquérir un logement, doit-il rester l’otage de l’autorisation du gouverneur ? Pourquoi autant d’entraves quand il veut ouvrir un compte en dollar ou en euro ?
J’appelle nos compatriotes à être plus attentifs s’agissant des relations avec les ressortissants d’autres pays qui veulent investir ou s’installer dans notre pays. C’est ainsi qu’ils peuvent agir pour renflouer les caisses de l’Etat, contribuer à la stabilité et la création d’emplois et participer à la croissance du pays.
Tout doit suivre. Les opérateurs économiques doivent être plus présents, mais aussi tous les organes de l’Etat
Aujourd’hui, il ne suffit pas que le président de la République, le chef du gouvernement, le gouverneur de la BCT ou les ministres se déplacent en Libye. Tout doit suivre. Les opérateurs économiques doivent être plus présents, mais aussi tous les organes de l’Etat, depuis les transports toutes catégories confondues, les douanes, les structures d’accueil touristiques, de santé, la police des frontières et les administrations publiques.
Aujourd’hui, il n’est plus permis d’avoir des files d’attente aussi longues à Ras Jedir. J’ai foi en la bonne volonté de nos responsables gouvernementaux, j’espère que la machine suivra.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali